Pour nourrir nos réflexions sur l’anticapitalisme, on a besoin de carburant, c’est-à-dire qu’on a besoin d’entendre d’autres voix.
Petit souci : je ne sais pas vous mais moi, spontanément, quand je pense “ressources sur l’anticapitalisme”, j’imagine tout de suite de gros essais marxistes certes intéressants, mais aussi longs, ardus et souvent rédigés dans un cadre de pensée complètement blanc. Ça ne donne pas très envie de s’y plonger.
J’ai donc voulu, pour ce dernier article de la série sur l’anticapitalisme, vous proposer des ressources variées et surtout accessibles.
Voire marrantes ! Mais si, c’est possible !
J’espère que vous compléterez la liste avec les œuvres qui vous ont aidé·e à réfléchir, vous.
— Podcasts —
1. Présages, par Alexia Soyeux - Jeanne Guien, la fabrique du consumérisme
Le podcast Présages “ce sont des conversations, des idées pour nourrir l’esprit et remettre radicalement en question l’état de notre monde”.
J’ai adoré l’épisode sur la fabrique du consumérisme, dans lequel la chercheuse Jeanne Guien montre de façon très précise et documentée comment les « besoins » auxquels nos objets sont censés répondre ne sont pas naturels, mais construits par la société et en premier lieu par l’industrie publicitaire.
C’est éclairant et tout en nuances.
2. La ligne diagonale, par Annie Picard - Être entrepreneuse et anticapitaliste, entrevue avec Jasmine Touitou
Si le nom de Jasmine vous dit quelque chose, c’est peut-être parce que, dans l’article sur mes prises de tête d’entrepreneuse de gauche, je vous disais que Jasmine Touitou est l’une des seules entrepreneuses à afficher clairement ses valeurs anticapitalistes.
J’ai découvert depuis la publication de ce post que Jasmine avait participé à un super podcast, La ligne diagonale.
Je vous recommande fortement l’écoute de ce podcast en général, et de l’épisode avec Jasmine en particulier, si vous faites partie de celles qui ont répondu à mon post sur l’entrepreneuriat en mode “woooow, je me pose exactement les mêmes questions”.
Annie Picard, la productrice du podcast, est une autre entrepreneuse qui essaie de concilier son business avec ses valeurs, et chacun de ses épisodes me fait l’effet d’un baume au cœur intelligent, exigeant et drôle.
— Livres —
3. La Parabole du Semeur et La Parabole des talents, Octavia Butler (éd. Au Diable Vauvert, 2001)
Dans ces deux romans de science-fiction écrit par l’autrice de science-fiction féministe afro-américaine Octavia E. Butler, on suit la vie de Lauren, une adolescente noire de quinze ans atteinte d'hyperempathie, dans une Amérique qui s’est délitée et enfoncée dans la violence à cause des inégalités, du réchauffement climatique et de la loi du profit.
C’est un magnifique roman d’anticipation qui change des poncifs du genre (à savoir : “un jeune homme blanc qui semble banal va en fait sauver le monde”), donne à voir le monde qui nous attend si on laisse les milliardaires décider pour nous et qui vous habite longtemps après l’avoir refermé.
Il a d’ailleurs été récompensé par le prestigieux prix Nebula du meilleur roman en 1999.
Vraiment, lisez-le, même si d’ordinaire vous n’êtes pas trop fan de science-fiction.
4. Pour une écologie pirate, Fatima Ouassak (éd. La Découverte, 2023)
Dans cet essai brillant et accessible, la féministe Fatima Ouassak propose de redéfinir l’écologie dans une perspective décoloniale.
Bon, dit comme ça, on pourrait croire que c’est très théorique ou abstrait, mais pas du tout : l’écriture reste au contraire limpide, les concepts élaborés sont présentés pas-à-pas et restent ancrés dans des exemples concrets. En plus, ça se termine avec un conte (mais oui ? mais oui !!).
Fatima Ouassak a un don pour sortir ses lecteurices de la sidération et donner envie de se bouger : plutôt nécessaire par les temps qui courent, non ?
5. Hilaria, Irene (éd. La Divergence, 2022)
Irene (prononcer “Iréné”) propose un récit intime sur la vie de son aïeule, Hilaria, une femme du prolétariat basque, veuve, qui élève seule ses enfants, en tirant des perspectives pour mieux outiller les mouvements féministes contemporains.
Sans trop vous spoiler, je peux vous dire qu’on prend beaucoup de plaisir à faire la connaissance d’Hilaria – une femme super badass, à peu près à l’opposé du cliché de la girlboss qu’on essaie de nous vendre comme l’objectif ultime du féminisme.
C’est un tort courant, dans les milieux militants, d’avoir tendance à réinventer la roue à chaque génération, sans prendre le temps de voir ni de penser les continuités entre les gens qui nous ont précédé et nos propres combats. C’est épuisant.
Hilaria permet de se souvenir que l’anticapitalisme n’a rien de récent… et de puiser de la force dans ce qu’ont fait et pensé les autres (femmes) avant nous.
6. Après le monde, Antoinette Rychner (éd. Buchet-Castel, 2020)
Un roman sur l’effondrement de nos sociétés, et ce qu’il pourrait se passer ensuite.
Ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant, c’est les descriptions précises et argumentées des modèles économiques et politiques qui émergent “après le monde” : souvent, on en reste à une peur du “grand effondrement” sans se donner la peine de penser sérieusement ce qui pourrait y succéder.
Attention, c’est assez déprimant. Peut-être pas le truc à lire si vous allez couçi-couça en ce moment.
Sinon, foncez ! Je ne connais personne qui a lu ce livre et qui ne l’a pas trouvé intéressant.
7. Le syndrome du patron de gauche, d’Arthur Brault-Moreau (éd. Hors d’Atteinte, 2022)
Dans ce “manuel de développement collectif”, on parle d’un sujet qui fait mal : les patrons de gauche et leurs abus. C’est-à-dire la façon dont des gens censément de gauche se retrouvent à se comporter, avec leurs employé·es, de façon parfois pire que celleux dont iels dénoncent les dérives.
La force de cet essai, je crois, c’est qu’il ne se limite pas à une description de toutes les vicissitudes du patron (ou de la patronne) de gauche : Arthur Brault-Moreau propose aussi une fine analyse des mécanismes qui s’y jouent et offre des pistes concrètes pour que les salarié·es s’organisent et ripostent en cas de besoin.
Oh, et c’est drôle aussi.
Si vous avez fait les frais d’un·e patron·ne de gauche ou que vous aimeriez éviter d’en devenir un·e, lisez-le.
— Film & séries —
8. B comme Berlin (Florian Opitz, 2023)
J’ai commencé à regarder cette mini-série documentaire parce que j’habite à Berlin mais ce qui m’a vraiment happée, c’est la façon dont sont décryptés les mécanismes profondément capitalistes (et injustes) qui ont façonné l’histoire de la ville depuis la chute du Mur.
On comprend mieux ce qui a conduit à la très grave crise du logement que rencontre aujourd’hui Berlin… et plein d’autres capitales européennes.
(Spoiler alert : ça implique des banquiers avides de profit, des politiciens véreux et des sociétés foncières sans scrupules.)
Ça met en rage, je vous préviens. Mais bon, parfois, la rage c’est bien.
9. Capitalisme américain, le culte de la richesse (Cédric Tourbe, 2023)
Un autre documentaire Arte, qui aborde la construction du capitalisme américain : concentration des richesses, luttes politiques autour de l’imposition… C’est clair et documenté.
Évidemment, comme souvent avec Arte sur les sujets sensibles, la critique du capitalisme se limite à la mise en exergue d’un phénomène américain, comme si l’Europe était magiquement exempte de tous ces excès. (Iels font la même chose avec le racisme, en produisant tout un tas de documentaires sur les mouvements pour les droits civiques aux Etats-Unis et à peu près rien sur le racisme institutionnel contemporain en France et en Allemagne).
Ça reste très instructif, en particulier sur la façon dont la prétendue “générosité” des riches avec leurs fondations “de charité” est en fait une façon de protéger leurs intérêts.
10. Acharnés (Lee Sung Jin, 2023) sur Netflix
Ouiiiiiiiii une série anticapitaliste sur Netflix, l’ironie ne m’échappe pas.
J’ai adoré cette série dont l’humour noir et la finesse d’écriture sont très rares, bien au-dessus de la plupart des séries qu’on porte aux nues. Le récit fait des tours et des détours inattendus et retombe toujours sur ses pattes (les auteurices qui me lisent percevront la pointe de jalousie dans ce compliment : c’est teeeellement dur de construire une intrigue aussi solide, je suis envieuse j’avoue).
Je ne comprends pas que la série ne soit pas plus connue. Peut-être parce que son thème central fait un peu peur ?
On y parle de colère, plus précisément de rage.
Toute l’histoire part d’une violente dispute entre deux inconnus sur un parking : un homme pauvre et une femme riche. Le mot “anticapitalisme” n’est jamais utilisé, pas plus que le mot “racisme”, et pourtant cette série articule avec beaucoup d’intelligence ces deux thèmes (et plein, plein d’autres).
Je n’ai pas envie de vous en dire plus parce que l’intrigue mérite d’être découverte sans avoir été éventée, mais regardez-la.
Voilà, j’espère que vous avez pioché une ou deux références susceptibles d’enrichir et d’élargir vos horizons.
Dites-moi en commentaire ce qui manque :)
A très vite.
En complément, un petit essai très intéressant d'un sociologue sur une question que l'on se pose tous : "Pourquoi sommes-nous capitalistes malgré nous ?" : https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/pourquoi-sommes-nous-capitalistes-malgr%C3%A9-nous-9782228929714
Merci pour cette liste géniale :)