En principe, vu mon précédent mail, ça ne vous aura pas échappé : on est le 14 février.
Pour nous bricoler un radeau face à la déferlante de roses hétéronormées menaçant de nous submerger, je vous propose trois livres qui dessinent des perspectives neuves sur ce qu’est l’amour et ce qu’on peut essayer d’en faire.
1. Pour la tendresse et l’humour décapant
L’amour de nous-mêmes, Erika Nomeni (éd. Hors d’Atteinte, 2023, 19 euros)
J’ai dévoré ce roman en l’espace d’une matinée et me voilà un peu sonnée, ne sachant pas bien par où commencer pour vous en parler tant la matière est dense, multiple et tendre.
C’est l’histoire d’Aloé, une jeune femme qui se décrit comme noire, queer et en surpoids. On y lit sa vie, ses amours, ses ami·es et, surtout, son sinueux parcours vers elle-même.
Mais n’allez pas confondre ce livre avec un simple témoignage ! Ce roman épistolaire constitue une sorte de mosaïque : si le motif peut avoir l’air simple vu de loin, il ne cesse de se complexifier plus on s’en approche et plus on y réfléchit.
Le roman m’a soufflée par son humour (volontiers décapant) et sa délicatesse, articulant dans une grande subtilité le point de vue de la narratrice avec des questionnements universels sur la difficulté à (s’)aimer.
Un véritable antidote au cynisme et au découragement.
Faites-moi confiance ! et achetez-le.
2. Pour dégommer les œillères de la blanchité
Amours silenciées, Christelle Murhula (éd. Daronnes, 2022, 18 euros)
Sous-titré “Repenser la révolution romantique depuis les marges”, cet essai procède à un double travail de démontage et d’élaboration : démontage des discours blancs et bourgeois produits sur la révolution romantique d’un côté, élaboration d’un point de vue politisé sur la condition des femmes noires sur le marché de l’amour de l’autre, le tout à partir de références culturelles et théoriques ainsi que des expériences personnelles de l’autrice.
Le propos est clair et sans appel : l’abondante littérature produite, jusqu’ici, sur la politisation de l’intime, laisse complètement de côté les femmes racisées et en particulier les femmes noires (ainsi, note Murhula, que les femmes handicapées ou pauvres, même si leurs problématiques spécifiques ne sont pas développées dans cet ouvrage - ce n’est pas l’objet du livre).
On va mettre les pieds dans le plat : mon bouquin le plus connu, Comment devenir lesbienne en 10 étapes, fait évidemment partie du corpus critiqué par Murhula.
Et franchement, la critique est plus que pertinente.
L’autrice met à jour des impasses fondamentales dans l’approche blanche et bourgeoise de l’intimité amoureuse, comme le rapport à la validation masculine (qui ne saurait être le même selon que l’on en est exclu·e ou pas) ou encore le cumul des oppressions lié à une éventuelle sortie de l’hétérosexualité, quand on est déjà minorisé·e à un autre titre.
Si vous avez lu et aimé Comment devenir lesbienne, ou n’importe quel autre titre lié à la “révolution romantique” écrit par une personne blanche et bourgeoise, je vous invite fortement à lire cet essai.
Il dégomme les œillères de la blanchité et après, on a l’impression d’être un peu moins bête.
3. Pour faire la révolution
I hope we choose love, Kai Cheng Thom (Arsenal Press, 2019)
La description Wikipédia de ce livre, sous-titré “Notes d’une fille trans pendant la fin du monde”, dit qu’il parle de justice transformative. Sans doute.
Je m’en souviens surtout comme d’un essai sur l’importance de choisir l’amour quand l’envie de vengeance rôde aux alentours, sur la différence entre la complaisance et la douceur, sur la contradiction fondamentale entre réparation et punition.
C’est un essai essentiel pour toute personne ayant fréquenté de près ou de loin des cercles militants qui, sous couvert de lutte “contre”, servent surtout à rejouer des exécutions publiques dont tout le monde ressort sali·e et perdant·e.
Mêlant essai et poésie, ce livre permet de sortir des débats stériles (et sans fin) où on essaie de décider qui doit être exclu de la “communauté” pour avoir fauté et donne un peu d’espoir en la possibilité d’une lutte politique émancipatrice, mais aussi réparatrice.
Parce qu’on ne fera pas la révolution sans apprendre à aimer un peu mieux.
Et pour rendre à Cléopâtre ce qui lui revient : j’ai découvert ce titre à travers une autre Louise, qui tient d’ailleurs aussi une (très intéressante) newsletter que vous pouvez aller lire ici.
Envie de recommander d’autres titres qui vous ont aidé·e à repenser l’amour ? Indiquez-les en commentaire !
P.-S. : vous avez été une fois de plus au rendez-vous pour les ateliers d’écriture ce mois-ci, qui porteront sur le thème du désir, et je vous en remercie. Voir toutes les places partir aussi vite, c’est un coup de boost à l’ego mais aussi un indice que je suis sur la bonne voie, et vous n’avez pas idée à quel point c’est précieux et nécessaire pour moi en ce moment.
Concernant les thématiques des prochains ateliers, si vous avez des idées ou des envies, écrivez-moi :)