Quand iel m’a dit ça, tout d’un coup, ma bouchée de gâteau au chocolat a perdu de sa saveur.
J’ai dégluti avec difficulté et observé la part de dessert d’un œil soupçonneux.
Qui se doutait qu’un simple gâteau au chocolat pouvait cacher un si grand crime ?
J’adore cuisiner des gâteaux.
Vu ma tendance au perfectionnisme (je me soigne), on aurait pu penser que j’allais finir par me lancer dans des macarons ou un autre genre de pâtisserie compliquée, mais non. J’aime préparer de bons gros gâteaux moelleux, simples, qui embaument l’appartement et ont un goût de : “ça va aller”.
(J’aime les manger, aussi.)
Depuis qu’on a déménagé à Berlin, j’ai dû composer avec des fours passablement vieux et pas fiables, ce qui m’a forcée à simplifier encore davantage mon répertoire pour ne retenir qu’une poignée de recettes, celles qui marchent malgré une température de cuisson approximative et pas de chaleur tournante (celleux qui savent, savent).
Ce gâteau au chocolat, c’est un de mes préférés.
Il est rapide à préparer, il est généreux, il est fondant, il fait l'unanimité. Quand je suis au bord de la crise de nerfs parce que quelqu’un·e m’a encore gueulé dessus en allemand sans raison apparente, ce gâteau dissout dans le beurre le souvenir déplaisant.
Et ce matin-là, au petit-déj, je découvre qu’il n’est pas si innocent que ça.
En vrai, c’est de ma faute.
J’aurais dû être plus prudente quand B m’a demandé si iel pouvait me “dire un truc un peu déprimant”.
Quand tu vis avec quelqu’un dont la vie professionnelle consiste à se tenir très précisément au courant de l’ampleur et de la gravité du changement climatique, “un truc déprimant”, c’est rarement une petite plainte sur le temps qu’il fait, plutôt un bon gros discours sur le temps qu’il nous reste avant que tous les écosystèmes connus se cassent la gueule (indice : peu).
Alors que je mastique ma part de gâteau au chocolat avec délectation, B m’explique donc que la production de cacao est en partie responsable du rythme ahurissant de la déforestation dans le bassin du Congo, un des poumons de la planète.
Moi, je ne savais même pas qu’il y avait une forêt tropicale à cet endroit.
Je découvre que le Ghana a le taux de déforestation le plus rapide au monde.
Les émissions nettes de carbone dues à l'utilisation des terres tropicales dans toute l’Afrique s'élevaient à 6 milliards de tonnes en 2016. C’est plus que les émissions annuelles des États-Unis. En toute logique, depuis, ça a dû augmenter.
L’Europe est l’une des principales destinations d'exportation de ces cultures mortifères : huile de palme, café, banane… Et cacao, donc.
Gloups.
Même le chocolat nous trahit.
Dans cette newsletter, je passe beaucoup de temps à défendre mes idéaux, à affirmer qu’il faut lutter, qu’il faut continuer, blablabla
– mais très franchement, à cet instant, ce n’était pas du tout ce qui se passait dans ma tête.
Mon discours intérieur, c'était plutôt quelque chose de l’ordre de :