Aussi loin que remontent mes souvenirs,
depuis aussi longtemps que j’ai été en âge de comprendre les émissions de radio qu’écoutaient mes parents, de déchiffrer les journaux auxquels ils étaient abonnés,
le même mot revient sans cesse.
Crise.
La société française, l’Union européenne, le monde : crise, crise, crise.
Soit on entre dans une crise.
Soit on traverse une crise.
Soit on sort d’une crise.
En fait, je pourrais retracer toute ma vie au prisme des crises qui secouaient le monde à ce moment-là.
Je suis née en 1990, c’est-à-dire que :
J’avais 10 ans à l’explosion de la première bulle internet.
11 ans pour l’attentat sur les tours jumelles, à New York, et la guerre contre l’Irak qui en a tiré prétexte.
16 ans pour la lutte contre le Contrat première embauche.
17 ans pour le début de la crise financière mondiale.
20 ans pour la crise des dettes européennes.
28 ans pour le mouvement des gilets jaunes.
30 ans pour la pandémie de Covid.
32 ans pour les grèves de grande ampleur contre la réforme des retraites.
(Et encore : je me suis limitée aux “crises” franco-françaises ou mondiales, je n’ai pas inclus celles qui se sont déroulées quand j’étais toute petite et je suis sûre que j’en ai oublié plein !).
A la longue, forcément, j’ai été obligée de me poser la question :
peut-on encore parler de “crise” quand on est en crise de façon ininterrompue ?
Est-ce que ce mot nous aide à penser ce qui se passe ? ou bien est-ce qu’il obscurcit tout ?
Le dictionnaire dit : “Situation de trouble profond dans laquelle se trouve la société ou un groupe social et laissant craindre ou espérer un changement profond”.
C’est-à-dire qu’en principe, il y a un avant et un après la crise. En principe, la crise entraîne une recomposition.
Ce qui est remarquable avec toutes les “crises” de ces vingt dernières années, c’est qu’elles n’ont, au total, pas changé grand-chose.
Toutes ces “crises” ne débouchent sur rien.
Aucun grand changement.
Les pays dits “développés” continuent de (liste non exhaustive)
consommer à balle,
buter des animaux à un rythme effréné,
produire énormément d’armes,
exploiter les êtres humains, les matières premières et les écosystèmes des pays dits “en développement”.
Du coup, si on vit dans des conditions assez privilégiées pour ne pas prendre trop cher au quotidien…
C’est assez tentant de se dire qu’en fait, malgré toutes ces crises, ça va pas si mal.
On a envie de croire qu’il fallait juste régler tel ou tel truc, améliorer la compétitivité prix de la France ou ajuster le système monétaire international ou réduire les dettes publiques ou je sais pas quelle autre connerie du même genre.
On peut même se dire que la montée actuelle du fascisme n’est qu’une autre de ces “crises”.
Qu’il suffit de faire le dos rond, de détourner le regard et d’attendre que la tempête passe.
(Franchement, je crois bien que c’est ce que se disent la plupart des gens autour de moi dès qu’iels pensent être à peu près protégées du pire.)
Sauf qu’au fond de nous, on sait très bien ce qui se passe.
C’est tout simple.
Ça porte un nom.
Il ne s’agit pas de : “crise”.
Ni même de : “fascisme”. Enfin bien sûr, il y a de ça, mais le mouvement global dépasse les pitoyables gesticulades des fachos.
Continuez votre lecture avec un essai gratuit de 7 jours
Abonnez-vous à Le Grain par Louise Morel pour continuer à lire ce post et obtenir 7 jours d'accès gratuit aux archives complètes des posts.