La semaine dernière, c’était mon anniversaire. J’ai eu 34 ans.
Youpi !
Ça fait quelques années que ça y est, je le sens.
Je commence à vieillir.
Alors je sais bien que le vieillissement à 34 ans n’a rien à voir avec celui qu’on vit à 60 ou 70.
Mais quand même.
C’est là.
Un basculement subtil.
Il y a les signes évidents : les rides, les cheveux blancs, la fatigue persistante après une grosse soirée, les ami·es qui font des bébés.
Et d’autres, dont on entend parler moins souvent :
Souvent, quand j’évoque le parti Les Républicains, je dis : l’UMP.
Quand je vois un enfant que je connais, je m’exclame : “mais comme tu as grandi !”. Soit la remarque que je trouvais complètement conne quand j’étais enfant — petite Louise pensait : “bah oui, j’ai grandi, tu croyais qu’il allait se passer quoi ?”
Mais je n’arrive pas à m’en empêcher car PAR QUELLE SORCELLERIE ce bébé que je tenais dans mes bras il y a trois minutes et demie s’est-il transformé en préado gênée ??!!Je trouve que les vêtements à la mode sont ridicules. Je pensais que les vieux ne savaient pas ce qui était fashion. En fait, c’est plus pervers : je choisis de me ringardiser.
Mon cycle menstruel a changé. Les soudaines chutes du Niagara sorties de nulle part ont laissé place à un jeu de cache-cache pendant 4 jours suivi des chutes du Niagara (celleux qui savent, savent).
Je nourris un intérêt sincère pour toute astuce permettant de détartrer ses toilettes.
Je n’ai jamais eu peur de vieillir.
En ce moment, avec les tragédies en cours un peu partout et le nombre d’enfants qui meurent sous des bombes, en particulier à Gaza, c’est même l’inverse : je mesure ma chance de vieillir, et de vieillir dans de bonnes conditions.
Plus précisément : j’ai peur de mourir vite et de manquer de temps pour vivre tout ce qui me fait envie, j’ai peur de notre incapacité collective à accueillir les personnes vieillissantes, mais je n’ai pas peur de ce que le temps fait à mon corps, à mon cerveau et à mon cœur.
Je ne le dis pas crânement. J’ai mon lot d’angoisses, petites et grandes ; il se trouve juste que la vieillesse n’en fait pas partie. Pas pour l’instant.
(Si vous pensez que 34 ans, c’est trop jeune pour être stressée par son âge : hélas, non. Je me souviens de copines catastrophées le jour de leurs 25 ou 30 ans. Je leur faisais un câlin sans comprendre leur chagrin.)
Ca veut dire aussi que je ne saisis pas non plus tout à fait les gens qui disent qu’iels regrettent le temps béni de l’enfance.
L’émotion dominante que je garde de mes 15 premières années sur terre, c’est la confusion : l’impression que le film qui se déroule autour de moi est plein de sous-entendus, que je capte juste assez pour piger qu’un truc m’échappe, et que personne ne veut ou ne peut m’expliquer. Pourtant je discutais beaucoup, y compris (voire surtout) avec des adultes, mais mon cerveau d’enfant n’était pas fait pour analyser efficacement un monde de grands.
(Pour celleux qui sont en train de penser : “hé mais Louise, ça sonne comme une enfance neurodivergente cette histoire !” Oui, carrément. Ne vous inquiétez pas, je suis au courant.)
J’aime vieillir car plus le temps passe et mieux j’appréhende le monde qui m’entoure.
Je ne dirais pas que je le comprends. Au contraire, toute l’affaire me paraît assez absurde, no offense to God.
Mais je sens que je le parcours avec plus de délicatesse, plus de conscience, plus de tendresse aussi peut-être. J’en saisis davantage les subtilités, les contradictions, les beautés et les souffrances.
Ce n’est pas spécialement facile, mais c’est intéressant.
Fascinant, même.
Comme si des dimensions nouvelles ne cessaient de se déployer, autant de petits mystères insolubles à soupeser.
Mon rapport à moi-même a changé.
Il y a encore quelques années, je me vivais comme une personne faite d’un bloc, bien stable, bien clair, bien délimité.
Avec les années, je vois bien à quel point j’ai changé. A quel point je peux me surprendre. A quel point je peux me tromper.
Il y a un noyau qui se dégage de toutes ces métamorphoses aussi. Un centre où je trouve une faim de liberté, un grand besoin de stabilité, le désir d’écrire et, bien sûr, celui d’aimer.
Et puis, comme on en discutait récemment avec une amie très chère : aujourd’hui, je me soucie nettement moins de mon apparence extérieure que quand j’avais 20 ans. Je ne dirais pas que j’aime davantage mon corps, au sens où j’aurais appris à adorer ce que je détestais avant. C’est plutôt que ma préoccupation première n’est plus d’être bonne. C’est reposant.
Ça vous parle, tout ça ?
Ou bien votre expérience n’a rien à voir avec ce que je décris ?
Je suis vraiment curieuse d’en savoir plus sur la façon dont d’autres personnes perçoivent le passage du temps.