Je tiens un journal intime depuis toute petite. J’en ai longtemps eu honte.
Je trouvais que ça faisait ado désespérée, nombriliste, niaise.
Dans ma quête effrénée de validation par les autres, j’avais capté assez vite que ce qui filait des bons points c'était un certain type d'écriture : les livres, de préférence bien dodus, sur des sujets hyper sérieux voire un peu chiants.
Mais l'écriture pour soi, sans autre prétention que de faire sens de sa vie, de ses émotions et de ses pensées ? Non, ça, c'était pas du sérieux.
Ou plutôt si, ça pouvait être intéressant, mais uniquement quand c’était un vieil homme blanc qui s’y adonnait, qu’il agrémentait le tout de réflexions modérément pertinentes sur le contexte politique de son temps et qu’il appelait ça ses mémoires. Oui, parce que les journaux intimes sont surtout dénigrés quand ce sont des femmes qui les rédigent.
Aujourd'hui je revalorise mon journal, cette façon d'écrire d’abord pour moi-même, en essayant de me préoccuper le moins possible du style, de la cohérence, des apparences. Peut-être justement parce que voilà, c’est fait, j’ai été publiée, je me sens paradoxalement plus libre et plus légitime pour affirmer la valeur de l'écriture intime, introspective, sans aucune prétention littéraire. La valeur de l'écriture pour moi et pour moi seule.
D’abord parce que c’est l'écriture la plus accessible quand on n’a pas beaucoup de temps, pas beaucoup d’espace et pas beaucoup de pouvoir : bref, c’est une écriture accessible aux personnes minorisées. Il suffit de quelques minutes. Il suffit d’un peu de papier.
J’ai écrit mon journal dans le train, l’avion, dans des amphis de fac, au bureau, sur mes genoux, à la plage et même aux toilettes.
A l’inverse, écrire pour être publiée demande beaucoup de ressources, à la fois symboliques (avoir un réseau dans l'édition aide beaucoup, quoi qu’on en dise) et matérielles. Écrire un livre prend un temps monstrueux, surtout de la fiction : si vous avez besoin de gagner votre vie à côté, ça devient vite très tendu. Sans même parler du coût de l’envoi des manuscrits aux éditeurs, dont la plupart refusent l’envoi de fichiers numériques comme si on leur proposait de se rouler dans la crotte (je précise que ce n’est pas le cas de Hors d’Atteinte, la maison d’édition chez laquelle mes livres sont publiés).
Si vous avez la désagréable impression que 80 % des livres publiés racontent la même chose, c’est normal. C’est parce que 80 % des auteurices publié·es viennent exactement de la même classe sociale, celle qui peut se payer le luxe de l'écriture sur le temps long.
A l’inverse, tenir un journal intime fait de bric et de broc est possible même quand on est très jeune, ou bien que l’on se coltine la charge mentale et matérielle de l'élevage des enfants au sein d’une famille, ou que l’on n’est pas stable émotionnellement et psychiquement…
L'écriture introspective permet aussi de prendre du recul, de mieux se connaître et parfois d'évoluer. A mes yeux, tenir un journal intime n’a rien de futile.
Quand je relis, la tête froide, les passages écrits sous le coup de la colère ou de la tristesse, je vois plus clairement mes vulnérabilités.
Concrètement, j’ai repéré pour la première fois mes soucis d’attachement en relisant mon journal et en me demandant, effarée, qui était cette personne qui dégoupillait sur dix pages parce que son mec n’avait pas dit “bonjour” sur un ton assez rassurant.
Écrire dans mon journal a sauvé ma vie.
J’entends cette phrase de façon assez littérale, même si je sais que c’est hyper cliché et un poil mélo. Bien avant la thérapie, ça a été ma première forme de soin envers moi-même. Quand ça n'allait pas tellement ou pas du tout, je griffonnais sur une feuille de papier. Je le fais encore maintenant : en général, après un conflit douloureux ou une mauvaise journée, je noircis des pages et des pages jusqu'à y voir un peu plus clair. Ce n’est pas la panacée, évidemment. Mais ça m'aide vraiment.
J’ai découvert tout récemment que ce que je vivais n’avait rien d’une spécificité individuelle : un tas d'études montrent que l'écriture introspective, qui permet de parler de soi et de ses émotions, offre une large palette de bénéfices en termes de bien-être mental et physique.
C’est un champ de la recherche en psychologie qui s’est ouvert à la fin des années 1990 : un chercheur américain, James W. Pennebaker, a (re)découvert un peu par hasard que quatre séances d'écriture sur un trauma amélioraient significativement plusieurs paramètres liés à la santé mentale et physique des personnes qui s'étaient prêtées au jeu.
J’ai aussi découvert que des techniques existent, qui permettent d’approfondir les bienfaits de l'écriture, ou de les rendre plus accessibles à des gens qui n’ont pas forcément le réflexe spontané de saisir un crayon ou un clavier quand leur cœur déborde.
Cette découverte m’a rendue heureuse mais elle m’a aussi abasourdie : pourquoi je n’en entendais parler que maintenant ?! Je ne comprends pas que ces techniques ne soient pas plus largement connues alors qu’elles sont utiles, adaptables à chacun·e et souvent plutôt ludiques.
L’écriture introspective est davantage utilisée dans les pays anglo-saxons mais en France, c’est une pratique presque entièrement invisibilisée.
J’ai l’impression que ça pourrait être lie à notre sacralisation de l’Ecrit et des Grands Ecrivains : on met l’écriture sur un piédestal qui la dessert et qui stresse tout le monde. On fait comme si on n’était autorisé·e à prendre la plume qu’à la condition de produire un chef-d’œuvre absolu.
L’écriture introspective part du postulat opposé : l’idée, c’est que tout le monde a la capacité de trouver, dans la mise en mots de son vécu, quelque chose d’intéressant et même de profond. Quelque chose comme un soulagement, une légèreté, plus de sérénité. La « qualité littéraire » du texte n’est pas analysée parce qu’elle ne présente, dans ce cadre, absolument aucun intérêt.
Il me semble pour ma part que l’écriture introspective est une formidable possibilité pour mieux se connaitre.
Bien sûr, ça ne plaira pas a tout le monde, et ça ne remplace pas une thérapie (vraiment pas). Mais l’écriture introspective peut contribuer à renouveler nos perspectives, offrir un peu d’air dans un monde souvent étouffant. Alors pourquoi s’en priver ?
Le sujet m'a passionnée. J’ai beaucoup lu sur l'écriture introspective, auto-expérimenté et expérimenté tout court au gré d’ateliers d'écriture que j’animais ici et là.
Aujourd'hui, j’ai envie de continuer sur cette lancée.
Je suis tellement enthousiaste que j’ai décidé d’animer régulièrement des ateliers d'écriture introspective. Ces ateliers se tiendront à Berlin et parfois à Paris, d’autres seront en ligne pour que tout le monde puisse y accéder. Certains seront en anglais, d’autres en français.
Si l'écriture introspective vous intrigue, je vous invite à aller faire un tour sur mon site internet, où j’annonce les dates des prochains ateliers et où j’explique en détails ce que je propose.
J'espère que tout ce qui précède a aiguisé votre appétit. Voici un petit jeu d'écriture réflexive en guise d’amuse-bouche (et de conclusion).
Prenez un papier et un stylo ou bien ouvrez un nouveau document sur votre ordinateur.
Faites une liste des choses que vous aimez ou qui vous tiennent à cœur. Ça peut être des gens, des lieux, des activités, des plats, des valeurs… Tout ce qui vous vient en tête.
Sautez une ligne pour chaque nouvel item de la liste. Essayez d’aller le plus vite possible. Les premières lignes sont faciles, ensuite ça se corse (et évidemment c’est là que ça devient intéressant). Soyez honnête avec vous-même et ne notez que des choses qui vous plaisent vraiment… pas les trucs que vous aimeriez aimer.
N'arrêtez pas pendant au moins dix minutes. Oui, dix minutes completes !
Si vous ne savez pas quoi écrire, répétez la ligne précédente jusqu'à avoir une autre idée - mais ne vous arrêtez pas d'écrire. C’est important de ne pas s’arrêter pour réfléchir, sinon vous allez passer en mode rationnel et analytique. Ce n’est pas l’objet ici.
Quand les dix minutes sont passées, soufflez quelques minutes puis relisez la liste à tête reposée.
Est-ce que des thèmes émergent ? Y a-t-il un ou plusieurs éléments qui vous surprennent ? Qui vous manquent ? Quels items sont déjà bien présents dans votre vie ? Pour ceux qui sont plus discrets, comment serait-il possible de les intégrer davantage à votre quotidien ?
P.S.: Pour les sceptiques, l'écoute de cette émission de France Inter devrait les rassurer sur le fait que je ne débloque pas complètement en tombant tête la première dans des pratiques de développement personnel loufoques voire sectaires. L'écriture introspective ou réflexive est pratiquée par des gens très snobs et sérieux (et border ennuyeux). Ouf !
P.P.S.: j’utilise l'expression “écriture introspective” bien que dans la littérature spécialisée, on parle le plus souvent d’ « écriture thérapeutique ». En effet, de mon point de vue, l’adjectif "thérapeutique" ne convient pas. Même si l'écriture introspective peut faire beaucoup de bien, je trouve qu’il est toujours dangereux de créer de la confusion entre ce qui relève de la thérapie, et ce qui se rapproche davantage du développement personnel et de la connaissance de soi. Il me semble que l'écriture introspective est clairement à ranger dans cette seconde catégorie lorsqu’elle est pratiquée seule, pour elle-même (et non dans le cadre d’une thérapie sérieuse avec un·e psychothérapeute expérimenté·e). C’est pourquoi j’utilise l’expression écriture introspective. D’autres personnes disent écriture expressive, ou réflexive.