Ça ne vous aura pas échappé : depuis quelque temps, je vends.
Je vends la newsletter, je vends des ateliers d’écriture, je vends le guide de l’écriture introspective.
Mon objectif est clair : gagner de l’argent.
Bien sûr, ce n’est pas mon seul but. Si je choisis d’écrire une infolettre féministe et anticapitaliste ou d’organiser des ateliers d’écriture introspective, et non pas de lancer un business de mugs personnalisés sur Amazon, c’est parce qu’il y a une pensée politique derrière.
C’est cette pensée politique qui me fait tenir dans mes choix – alors même que ce ne sont pas nécessairement les plus rentables, ou les plus faciles.
Mais quand même. Soyons honnêtes.
Je vends. J’essaie de gagner de l’argent.
J’ai assez envie de prendre une posture de guerrière à qui rien ne fait peur, et d’affirmer crânement que j’accueille cette nouvelle réalité à bras ouverts, avec détermination et joie… Mais ce serait faux.
Au contraire : ça me fait tout bizarre.
Je me pose pleiiiiin de questions.
Déjà, parce que c’est inédit pour moi, et que je me confronte à de nombreux problèmes délicats : fixer le prix de mes services, par exemple, en essayant de trouver un équilibre entre ce qui me paraît juste et ce qui reste abordable pour vous, tout en jonglant avec mon syndrome de l’imposteur.
Mais ce n’est pas seulement la nouveauté de tout ça qui me désarçonne.
C’est aussi l’articulation entre cette nouvelle position marchande, où je propose des services et produits dans ce qu’il faut bien appeler un marché, et mes convictions de gauche, anticapitalistes.
Je connais très peu de gens dans ma position, je veux dire par là : je connais très peu d’entrepreneuses de gauche.
(Entendons-nous : de gauche, c’est-à-dire pas des girl boss qui exploitent douze trillions de stagiaires sous-payé·es et qui disent que l’avenir du féminisme c’est plus de femmes CEO, ça on n’en manque pas trop.)
Mon cercle social est constitué pour l’essentiel de personnes salariées, à divers niveaux d’aisance financière, qui ne se trouvent presque jamais dans un rapport direct de vente.
Au-delà de mes proches, la plupart des personnes situées à gauche dont je suis le travail et les publications ne parlent jamais de leurs revenus. C’est comme si elles vivaient dans le monde des idées, et que la façon dont elles se débrouillent pour gagner correctement leur vie ne comptait pas du tout — sans même parler de l’immense tabou de la classe sociale en France (personne ne se dit héritier·e et pourtant beaucoup passent leurs vacances dans de belles maisons à la campagne, ça me laisse perplexe depuis toujours).
La seule personne qui prend la parole sur ces sujets, que je ne connais que via les réseaux sociaux, c’est Jasmine Touitou qui l’évoque parfois sur Instagram.
Tout ceci contribue à me donner l’impression que le rapport marchand, soit le fait de vendre un service ou un bien, est considéré à gauche comme un truc un peu sale, un peu bizarre, un peu gênant…
D’autant plus lorsque ce qui est offert relève de l’immatériel.
(A la limite, si tu vends sur un marché des fromages de chèvre produits en coopérative bio, ça passe.
Hélas, quiconque ayant été en ma compagnie plus de 5 minutes sait que je ne suis pas une femme à chèvres, bien que je les trouve excessivement mignonnes en vidéo. Et on aura bien compris aussi que ma newsletter ne se mange pas — enfin, je crois pas ?? keep me posted.)
Mais alors, est-ce qu’en vendant mes services, je ne participe pas activement à renforcer et étendre l’arnaque capitaliste ?
Dans le premier article de cette série sur l’anticapitalisme, j’ai commencé par vous dire que vous pouviez être anticapitaliste même si vous aimiez acheter des trucs : la simple insertion dans l’économie capitaliste – qui est inévitable pour la majorité d’entre nous – ne peut pas constituer un renoncement à toute critique de ce système.
Maintenant, j’aimerais aller plus en profondeur et examiner s’il est intellectuellement honnête de porter des valeurs anticapitalistes tout en vendant des produits, ou en cherchant activement à gagner plus d’argent – par exemple, dans le cadre d’un emploi salarié, en essayant d’obtenir une promotion.