Être fièr·e de soi, ça veut dire quoi ?
Etre fier·e : d’accord, mais pas n’importe comment.
Je suis drôlement fière de moi, ces temps-ci.
Et pas pour les raisons que vous pouvez imaginer.
A vrai dire, je suis fière d’une façon qui, moi-même, me surprend.
La fierté n’est pourtant pas un sentiment nouveau pour moi.
J’ai toujours tiré une certaine fierté de mes résultats académiques, par exemple. Je savais que j'étais intelligente d’une façon valorisée par l’institution scolaire, qui elle-même était valorisée par mes parents, et je m’en trouvais ainsi valorisée à leurs yeux - ce qui était, alors, ma préoccupation principale.
J’ai quand même dû négocier âprement avec mon père pour obtenir l’autorisation de m’inscrire en prépa littéraire, perçue comme manquant de débouchés, et j’ai finalement obtenu son approbation (toute relative) assortie d’un conseil, ou plutôt d’un ordre : “puisque tu choisis de faire des lettres, c’est l’excellence ou rien”. Sous-entendu : sinon, tu finiras chômeuse. A l'époque, ça sonnait comme une terrible menace.
J’ai pris note ; j’ai obéi. J’ai accumulé les titres d’excellence et, de leur existence, j’ai tiré ma fierté renouvelée. Faire la bonne école, décrocher le bon taf - ça voulait dire que tout, chez moi, n'était pas à jeter. Ça voulait dire que je pouvais ignorer les sourires en coin et les regards de biais.
Je me suis servi des signes extérieurs de réussite pour me convaincre que je valais quelque chose : ces pseudos-lettres de noblesse m’ont servi de refuge quand je me sentais vulnérable ou en danger.
Ainsi pendant longtemps, je n’ai connu que la fierté-diamant, la fierté qui vaut cher, qui est extraite à force de labeur et parfois de laideur, la fierté qui est faite pour être montrée et pour signifier aux autres : eh, tu vois ce que je vaux ? Alors ferme bien ta gueule maintenant.
Le diamant est le matériau naturel le plus dur. On s’en sert pour trancher de l’acier et se créer des armures. C’est parfois pratique, une armure, mais ça tient chaud, et ce n’est pas idéal quand on a envie de courir, ou bien de danser.
Il se trouve que, moi, j’adore me trémousser.
Peu à peu j’ai compris que, pour suivre le chemin qui me faisait envie, il fallait que je laisse derrière moi quelques diamants. Je devais me séparer, au moins temporairement, de quelques-unes de ces pierres étincelantes si durement acquises qui, au fond de mes chaussures, creusaient des plaies chaque jour plus vives.
Quitter ce travail prestigieux et bien payé dans une institution qui m’ennuyait à mourir et me prenait l’essentiel de mon temps. Quitter Paris, aussi, c'est-à-dire partir d’un entre-soi ou mes titres de noblesse étaient partout reconnus, mais où je manquais d’espace pour dévier. Quitter l’hétérosexualité, donc jeter aux orties tout le labeur douloureux et acharné pour essayer, et à certains égards parvenir, d’être une femme comme il faut.
J’ai rechigné. J’ai tenté de contourner l’obstacle. De louvoyer.
J’avais peur. Si je laissais tout ça derrière moi, qu’allait-il me rester ?
Finalement j’ai tenté le coup. Maladroitement, mal assurée.
Au début le vide. La sensation de chuter.
Et puis, la belle surprise : en m'écartant peu à peu du chemin que je m'étais tracé, je découvre autre chose. Une autre forme de fierté.
Je me découvre fière d’une façon qui n’engage pas le regard des autres, ou pas sur le même mode.
Pour vous donner un exemple concret, dont la banalité fait la beauté : je suis immensément fière d’avoir validé ma deuxième année de licence de psychologie.
Réussir une deuxième année de psycho à la fac de Toulouse, très franchement, ça n'est pas trop le genre d'événements qui m’aurait fait déboucher le champagne il y a encore quelques années. L'université au sein de laquelle j'étudie n’est pas particulièrement réputée, et la filière psychologie n’est pas non plus plébiscitée. Le tout dans un objectif aussi incertain que lointain : devenir psychologue dans trois ans au mieux, si j’arrive à être acceptée dans l’unique master français qui peut être suivi à distance, si je réussis à financer mes études malgré l’absence totale de dispositif de soutien pour les gens dans mon cas, si je parviens à faire des stages tout en habitant à l’étranger…
Et pourtant, oui, je suis fière. Je suis fière parce que le choix de suivre ces études vient de moi, que je le sens juste et en profonde adéquation avec qui je suis et où j'ai envie d’aller. Je suis fière du courage qu’il m’aura fallu pour ne pas lâcher, pour étudier après ma journée de travail, pour renoncer à certaines sorties au profit d'une relecture du polycopié de neurosciences et de ces foutus canaux voltage-dépendants (celleux qui savent, savent).
Ma fierté n’a plus du tout l’aspect d’un diamant.
Ce serait plutôt une collection de petits morceaux de verre polis par la mer, colorés et lisses dans la paume de la main. Le soleil s’y reflète, des vitraux tout doux façonnés par l’eau salée et par le temps. Je les collectionnais, petite, au bord des plages et les avais oubliés en grandissant.
Les éclats de verre polis par l’eau ne servent à rien. Rien du tout, à part me rendre heureuse.
Je chéris cette fierté : un trésor que je peux contempler seule avec joie, ou bien montrer à celleux que je pressens capables d’en saisir la beauté, et l’infinie délicatesse.
C’est tout nouveau pour moi de préférer l'éclat doux de la joie au bouclier inviolable des diplômes, de l’argent, du succès. C’est tout frais, ça palpite, comme des ailes qui me poussent et m’encombrent encore parfois.
Je ne dis pas que les diamants ne servent à rien : je suis bien contente d’en avoir amassé quelques-uns, ils m’ont servi souvent - d’autant plus que beaucoup de gens ne comprennent que ce langage-là.
Mais je suis contente de me préoccuper moins des diamants et plus de la joie.
Merci Louise pour ces trésors partagés qu'on serre bien fort au fond de nos poches. Smooth is beautiful
Louise je t'avais répondu cela sur Insta.
Et là, je découvre (Cahier intime 34, 12 août 1978, Patricia Highsmith):
If I were only a good poet
Able to distill all this into
A clear and beautiful little sphere
Like a gem one could see through, polished,
Something to keep, small in my pocket,
Something to look at
That wouldn’t hurt.
Merci, c'est si beau, je me reconnais dans ton texte.