"Il n'y a que toi qui peux écrire"
Entretien avec Marcia Burnier, autrice de Hors d'Atteinte (éd. Cambourakis, 2023)
C’est vraiment un super roman.
Il s’appelle Hors d’Atteinte (éd. Cambourakis, 2023) et il est écrit par Marcia Burnier.
Pourtant, le résumé m’a fait un peu peur.
Parce que ça parle de « vivre au rythme des saisons et de la nature », or je ne suis pas quelqu’un de très attiré par « la nature ».
En vieillissant, ça change petit à petit, mais globalement les arbres me laissent de marbre et les randos sont tolérables à l’unique condition qu’elles demeurent 1) courtes 2) peu exigeantes sur le plan physique 3) précédées et suivies d’un goûter.
Donc un livre centré en partie sur le rapport à l’environnement, je me suis dit, mince, je risque de passer à côté.
(Je garde un souvenir horrifié des longues descriptions intello-exaltées-virilistes de Sylvain Tesson).
J’ai quand même voulu le découvrir.
Déjà parce que c’était Marcia Burnier, dont j’avais déjà beaucoup aimé Les Orageuses, son premier roman.
Et aussi parce que le sujet me passionnait – se reconstruire et se retrouver à travers une forme de solitude. S’éloigner.
Eh bien les amies.
Comment vous dire ?
J’ai vraiment bien fait.
Je l’ai dévoré l’espace d’un trajet de train.
Et je ne sais pas trop ce que le mec assis sur la place d’à côté a pensé lorsque je me suis mise à pleurer, à la fin.
C’est écrit avec une délicatesse folle, une combinaison rare de pudeur et d’authenticité. C’est doux et original, à la fois dans la forme et sur le fond, et puis surtout c’est fort.
La preuve, ça fait déjà plusieurs mois que je l’ai terminé, et je me souviens encore de ce roman avec précision.
Lisez-le, offrez-le, parlez-en autour de vous.
(Oui oui, même si vous détestez les randos. Promis.)
Avec un livre pareil, je voulais absolument discuter avec Marcia Burnier de sa pratique d’écriture.
Elle a accepté qu’on se rencontre sur Zoom et on a papoté une bonne heure et demie.
La discussion était à son image : engagée, drôle, franche et fichtrement pertinente.
Bonne lecture !
Depuis quand écris-tu ?
J’écris depuis.. bon, en fait ça dépend de quoi on parle.
J’ai tenu, comme beaucoup d’ados, un journal pendant longtemps, mais j'ai fait une grosse pause d’écriture entre mes 20 et 27 ans.
Mais j’ai commencé à écrire pour les autres, pour être lue disons, en 2016, parce que je voulais parler de mon boulot. A cette époque, j’étais travailleuse sociale dans le domaine du droit des étrangers. Ca faisait un petit moment que je bossais et je me disais que les gens n’avaient pas idée de ce qui se passait réellement pour les personnes que j’accompagnais. En soirée, bière à la main, personne ne voulait avoir de détails sur mon boulot. Les gens que je côtoyais n’avaient aucune idée de ce que c’était d’être une mère célibataire qui vient d’avoir sa carte de séjour. Mais même maintenant d’ailleurs, c’est fou à quel point on ne sait pas ce qui se passe dans ce domaine, à quel point les gens sont maltraités par l’administration..
Donc j’écris d’abord dans Retard Magazine, sur mon boulot. Des lecteurs et lectrices réagissent, partagent le texte et je découvre à quel point c’est jouissif d’écrire. Retard Mag a été co-créé par Marine Normand, c'était un format assez innovant à l'époque, un site internet où tu pouvais envoyer des articles de non-fiction à propos d’absolument tout avec une grosse liberté.. À l'époque, de ce que je connais, il y avait quasi pas de non-fiction publiée : on n’en trouvait que dans des zines, ou alors sous forme de témoignages. Ensuite, toujours dans Retard, je me suis mise à écrire sur ma vie privée et sur les violences subies.
J’ai fini par prendre l’écriture au sérieux et on a créé ce zine, avec Nelly Slim, "It’s been lovely but I have to scream now". On a fabriqué et publié 16 numéros en trois ans. On publiait d’abord nos écrits, puis les écrits de nos potes, puis on a fait des appels à textes plus larges.
C'était ouvert à toutes les formes littéraires sauf les écrits universitaires ou théoriques. Les règles etaient simples : on ne retouche pas l’écriture sauf si la personne le demande, et le zine est en mixité choisie sans hommes cis.
Et puis, j’ai commencé à écrire de la fiction en 2017-2018 environ.
Tu viens d’expliquer très clairement comment l'élan d'écrire de façon “publique” était venu d’un besoin de montrer une réalité.
Du coup je me demande : à quel point c’est le même geste dans la fiction ? Un geste politique, on pourrait dire ?
Instinctivement, j’ai envie de te dire que je ne comprends pas comment faire de la fiction sans que ce soit politique.
Et pourtant, je vois bien comment, pour rentrer dans le club des écrivains-parisiens-chics, il faudrait “sortir de la politique et faire de la Littérature”. On me l’a souvent dit.
Non seulement je suis en désaccord, mais je ne comprends même pas ce que ça veut dire.
Le pouvoir de la fiction, c’est qu’elle est bien plus accessible que la théorie universitaire.
J’ai fait passé quelques années à la fac, mais mon éveil féministe, les textes qui m’ont marquée, qui ont changé ma façon de vivre, qui m'ont sauvée par rapport au trauma, qui m'ont fait découvrir une communauté lesbienne, qui m’ont fait réfléchir à mes privilèges, etc… Tous ces textes étaient soit de la non-fiction, soit de la fiction, mais jamais des textes théoriques. C’était des auteurices qui avaient réussi à raconter leur vie dans des mots qui me parlaient et c’était toujours politique.
Je crois que ça ne m’intéresse pas tellement d’écrire un livre qui n’ait pas une portée politique, surtout en écrivant sur les violences.
Et puis au final, quand on dit que ce n’est pas politique, qu’on ne prend pas parti, que ce n’est pas tout blanc ou tout noir… c’est un autre parti pris. C’est une autre position politique.
Ah oui, cette fameuse neutralité des bourgeois de droite.
J’ai l’impression que le politique est étroitement lié, pour toi, à une écriture de l’intime. D’ailleurs tu évoques l’importance, dans ton éveil féministe, des auteurices qui ont réussi à raconter leur vie dans des mots qui te parlent.
Et toi aussi, tu pratiques une écriture de l’intime, en fiction et en non-fiction. Comment ça s'est fait, ce choix ? C'était réfléchi ?
L'écriture de l'intime s'est imposée naturellement à moi. Je n'ai jamais vraiment essayé de faire de la fiction qui n’était pas intimement liée à ma propre expérience. Cela me motive moins d’écrire sur des sujets éloignés de ma vie personnelle, parce que je pense que j’aurais du mal à décrire précisément ce que les personnages ressentent…
Quand j’écrivais de la non fiction à la première personne, je cherchais à exprimer des vérités personnelles, en assumant que c’était ma vérité. Mais c’était aussi un peu vertigineux. Les lecteur.ices qui lisent ces textes en ont appris beaucoup sur moi.
Passer à la fiction m’a offert une forme de protection supplémentaire, car je suis la seule à savoir ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas.
Il y a encore tellement de récits non publiés, provenant de personnes dont les voix ne sont pas encore entendues, qu'il me semble superflu d'inventer des personnages très éloignés de ma propre expérience si je n'en ressens pas le besoin.
Quand des auteurs blancs hétérosexuels de 50 ans affirment que c'est leur liberté d’écrire sur un personnage de femme noire lesbienne de 30 ans, je me demande pourquoi ils le font. Est-ce parce que tout a déjà été dit sur eux ? Ne pensent-ils pas que quelqu'un d'autre pourrait mieux le faire ?
Parfois, on peut reprocher aux écrivain.es, en particulier ceux appartenant à des minorités, de focaliser leur écriture sur elles et eux-mêmes. Mais il ne faut jamais en avoir honte. Ce n'est pas parce qu'on n’écrit pas sur des mondes imaginaires que ce n’est pas de la fiction.
J’aimerais qu’on passe maintenant à des aspects plus concrets, pratiques.
Comment, concrètement, tu t’organises pour écrire ?
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