On va vraiment parler de ça ?
La Coupe du monde de football, les LGBT+ et l'universalisme à la française
On va vraiment parler de ça ?
J’ai pas envie.
Ça me gonfle, ça m’énerve, comme à chaque fois.
Comme toutes les fois où il s’agit d’évoquer l’homophobie.
Oui, je vais en parler.
Je vais parler de ce foutu brassard et cette foutue Coupe du monde.
Je vais essayer de vous la faire courte, parce que je crois qu’on est tous·tes fatigué·es de ce sujet, tous·tes lassé·es et écoeuré·es. Au bord de la nausée.
Les faits : durant la Coupe du monde de football qui se déroulera au Qatar, l’équipe de foot française ne portera pas un brassard arc-en-ciel au soutien aux LGBT.
Porter ce brassard aurait constitué un signe de solidarité avec les communautés LGBT de ce pays et du monde entier. En effet, au Qatar, l’homosexualité et les transidentités sont interdites et punies par la loi : prison et privation de droits au mieux, peine de mort au pire.
La justification évoquée pour refuser ce geste de soutien, qui somme toute n’aurait pas coûté grand-chose aux joueurs ?
Le respect dû à la culture de ce pays.
Sur le mode : quand les gens viennent en France, ils doivent accepter nos règles, quand on va chez eux, il faut s’adapter à leurs coutumes.
En outre, l’équipe de foot française se refuse à “faire de la politique”.
Une position confortée par les propos du Président de la République, Emmanuel Macron, affirmant dans un tweet qu’“il ne faut pas politiser le sport”.
Ce que je voudrais dire : trois choses.
Un : la coupe du monde de foot est regardée par des centaines de millions de personnes (littéralement). Croyez-moi, je suis la première à ne pas le comprendre, je ne capte vraiment pas pourquoi tout le monde adore ce sport et y consacre ce niveau d’argent et d’énergie.
Mais la réalité c’est ça.
La réalité c’est qu’une compétition qui est regardée par autant de gens, avec autant de ferveur, a forcément une portée sur les idées des supporteurices. Que ça nous arrange ou non.
Il ne s’agit pas de “politiser” ou de “ne pas politiser” le foot, il s’agit de prendre acte du fait que ce sport et cette compétition sont politiques, quoiqu’on y fasse, et d’en tirer les conséquences.
Ce qui signifie que : refuser de porter un brassard n’est PAS moins politique que d’en porter un.
Ce sont deux choix, également politiques, qui portent des messages différents. Un message de soutien, et un autre d’abandon.
Deux : en disant que la torture et l’emprisonnement des queers sont finalement “une affaire de culture et de traditions”, un peu comme le débat “chocolatine ou pain au chocolat”, le capitaine de l’équipe de France montre précisément le contraire.
Ses propos irresponsables, qui font de l’emprisonnement et de la mise à mort de certaines personnes un choix tout aussi valable qu’un autre, montrent que l’homophobie et la transphobie sont bien présentes et bien vivaces, ici comme là-bas.
Au lendemain d’une tuerie dans une boîte LGBT aux Etats-Unis, la veille du jour du souvenir pour les personnes trans, il devrait être clair pour tout le monde que nos droits ne sont pas acquis et qu’ils ont besoin d’être défendus, ici comme ailleurs.
Pour pouvoir dire que la haine des personnes LGBT est “juste une coutume”, il faut déjà ne pas s’en tenir pas si éloigné·e, de cette haine-là. Il faut déjà avoir décidé que les LGBT+, c’était les autres, et que les autres ne nous concernaient pas tant que ça.
L’indifférence n’est pas le contraire de la haine, c’est sa racine et souvent, aussi, son prolongement.
Trois : à un moment, il faudrait se décider.
J’entends à longueur de journée que nous les wokistes, on est de dangereux·ses relativistes, qu’on ne respecte plus rien, qu’on s’embourbe dans les eaux troubles du multiculturalisme le plus abscons, qu’on n’a aucun sens de l’universalisme.
Ah ouais ? OK.
Alors expliquez-moi.
Expliquez-moi pourquoi, quand vient l’heure de défendre les “Vâleuuuurs” de liberté et de fraternité dont la France aime tant s’envelopper, quand vient le moment de mouiller sa chemise un peu concrètement (et encore, on ne parle pas non plus d’un geste de protestation particulièrement coûteux ou risqué), c’est marrant mais…
J’ai bien l’impression que ce sont les affreux·ses wokistes qui montent au créneau.
Il n’y a même pas besoin d’aller jusqu’à la question du brassard LGBT pour voir à quel point l’imposture des “universalistes” est manifeste. Tout le monde sait que des dizaines de milliers d’ouvriers ont travaillé dans des conditions absolument indignes et inhumaines pour permettre le déroulement de cette Coupe du monde.
Qui s’en offusque ? Qui, sinon les mêmes gauchistes qui sont censés avoir bradé leur bon sens républicain ?
Vous êtes où, les universalistes autoproclamés, quand l’enjeu n’est plus de forcer une femme à ôter son voile, ou de faire annuler une réunion en non-mixité ?
Vous êtes où, quand on parle de défendre les droits des minorités, et pas de leur en ôter ?
Vous qui nous accusez perpétuellement de ne pas savoir prioriser les combats, comment se fait-il que vous hurliez à la vue d’un point médian (horreur ! malheur ! vade retro, écriture inclusive !) mais que vous gardiez aujourd'hui la bouche close ?
Votre silence est éloquent.
Et je suis fatiguée.
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