Au départ, ce texte s’appelait : “les riches sont de gros radins”.
Je pensais que ça allait être une longue tirade enragée à propos de la façon dont je me retrouve, au restaurant, à partager l’addition à 50/50 avec des potes qui gagnent littéralement 4 fois plus d’argent que moi, et qui m’ont traînée dans un endroit où je ne serais jamais allée sans eux parce que je n’en ai pas les moyens.
(Je le précise : j’ai la chance de ne pas être pauvre, je ne suis absolument pas à plaindre, mais je ne suis pas riche non plus — j'ai cessé de l’être en quittant mon ancien emploi pour m’installer à Berlin.)
Et si vous pensez : “oui mais c’est à toi de poser tes limites”, ou “tu n’as qu’à le dire”, je soupçonne que vous ne vous êtes jamais retrouvé·e dans cette situation-là, que vous ne connaissez pas la saveur toute particulière de la gêne que l’on ressent quand on doit expliquer qu’on n’a pas les moyens.
Quand il faut le répéter. Quand il faut demander de ne pas partager l’addition à parts égales, parce qu’il y a une raison pour laquelle on n’a pas commandé les pâtes à la truffe mais la salade, et qu’on n’a pas touché à la bouteille de vin.
Surtout face à des gens qui ne se sont pas souciés une seconde de cette réalité, qui ont le privilège de ne même pas se poser cette question.
Par ailleurs, depuis ce foutu brunch j’ai appris ma leçon et, oui, j’ai essayé de le dire. Sans surprise, ça fonctionne moyennement.
Parler d’argent aux riches, c’est souvent inaudible, souvent silencié par des “mais oui, t’inquiète pas !” faussement rassurants, sans amorcer aucun changement.
(Il y a en un ou deux qui comprennent, heureusement. #notallrich)
Et puis je me suis dit que ça ne valait pas la peine de faire tout un post là-dessus. De toute façon le propos tient en quelques paragraphes, la preuve : voilà, c’est fait. Je l’ai eue, ma tirade enragée.
Mais en creusant sur ce qui se cachait sous ma colère, j’ai vu qu’il y avait un autre truc, sur ce terrain-là, un autre sujet qui valait la peine d’un post.
Je veux bien sûr parler des riches. Pas mes potes (quoiqu’ils soient riches au sens statistique du terme, pour le contexte français), non, les *vrais* riches.
Les ultrariches.
On ne va pas y aller par quatre chemins : leur existence est à la fois un symptôme et une cause de l’absurdité absolue du système capitaliste.
À première vue on peut se dire : bon, détends-toi Louise, les riches ont toujours existé, c'est comme ça. En un sens, je suis d’accord : il y a eu très peu de sociétés totalement égalitaires, sur le plan matériel ou financier, en particulier sur le sol européen.
A titre personnel, même si je sais que ça va pas totalement dans le sens de la doxa queer, je suis convaincue que n’importe quel groupe humain fonctionne sur la base de hiérarchies (ce qui veut aussi dire que toutes les approches politiques qui prétendent les abolir complètement me paraissent vouées à l’échec — à mon sens il vaut mieux réfléchir à comment on les organise et surtout, sur quels critères on les définit).
Je sais aussi que quand les gauchistes comme moi se lancent dans des discours antiriches (tout en appartenant à la petite-bourgeoisie, dans mon cas), ça donne l'impression qu’on est bloqué·e dans une espèce de ressentiment, de rancœur un peu immature. Qu'on est une bande d’envieux·ses de la pire espèce.
Mais ce n'est pas du tout ça.
S'il est nécessaire de parler des riches, c'est parce que les riches d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier.
La concentration de la richesse qu’on connaît aujourd’hui est inédite dans l’histoire de l’humanité.
Récemment, sur Insta, je voyais passer partout des posts qui se réjouissaient qu'Elon Musk ait perdu plus de la moitié de sa fortune : elle s'est réduite de 60 %, soit de 200 milliards d'euros.
Alors oui, moi aussi j'adore voir Elon Musk perdre de l'argent, mais on est tellement anesthésié·es par l'absurdité du système capitaliste qu'on ne prend même plus le temps de s'arrêter sur ce simple fait : le type possède plus de 200 milliards d'euros !?
200 milliards, pas 200 millions. Pour vous donner un ordre de grandeur, c’est à peu près équivalent à toutes les dépenses de l’Etat français sur un an. Toutes. Education, armée, culture, service de la dette et aides sociales, pour une population de 70 millions d’habitants.
Et ça, ce n’est même pas sa fortune, c’est “juste” ce qu’il a perdu.
What. The. Fuck.
Notez bien au passage qu'on sous-estime complètement ce que représente un milliard. Ce chiffre est tellement élevé qu’on peine à l’appréhender.
L’esprit humain n’est pas outillé pour se représenter correctement ce genre d’ordre de grandeur.
On a tendance à se dire qu’un million c’est beaucoup, et qu’un milliard c’est un peu plus. Ce n’est pas le cas. En termes unitaires, il y a beaucoup, beaucoup plus d’écart entre 1 million et 1 milliard qu’entre 0,001 et 1 million.
J'ai déjà utilisé cet exemple mais je le reprends parce que ça me paraît vraiment important d’en prendre conscience : si on dit qu’une seconde = 1 euro, pour gagner 1000 euros il faut 1 quart d’heure. Pour gagner 1 million d’euros il faut 2 semaines.
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