Récemment, je me suis rendue dans un cinéma du quartier voir le dernier film de la série Marvel, Thunderbolts.
A la fin de la séance, au premier rang de la petite salle, installée dans un canapé poussiéreux, j’ai regardé le générique.
Tout le générique.
Parce que je savais que les Marvel comportent des scènes additionnelles à la toute fin, et aussi parce que je suis cette personne qui aime regarder les crédits.
Après un film, je me trouve souvent dans un état un peu flottant, et ça m’apaise de prendre le temps d’en émerger doucement.
Je pense qu’on en conviendra : le générique d’un film ne constitue pas sa partie la plus palpitante.
Pourtant, à chaque fois que je regarde défiler, à l’écran, la liste de noms qui suit un long-métrage, j’ai la même réaction :
Soufflée. Abasourdie. Estomaquée.
Il faut tellement de personnes pour faire un film.
Vous aussi, vous avez remarqué ?
Dans le cas d’une grosse production comme Marvel, des milliers de gens sont cités à la fin, et ça n’inclut pas le très grand nombre de personnes qui ont bossé sur le projet mais n’ont pas le statut nécessaire pour figurer dans les crédits.
(Une copine qui travaille dans la production m’a expliqué qu’être au générique, pour les “petites mains” du cinéma, c’est loin d’être un droit, apparemment ça peut donner lieu à d’âpres négociations.)
Ces génériques interminables me rappellent une des caractéristiques de la littérature que j’aime le plus viscéralement :
c’est un art pauvre.
La littérature a le pouvoir de faire émerger des mondes aussi bien — et même mieux — qu’une superproduction américaine, avec très peu de moyens.
Une seule personne. Accompagnée de ses seuls mots.
Politiquement, c’est très fort.
On peut écrire depuis une situation de domination. On peut écrire depuis l’asile. On peut écrire depuis la prison.
Bien sûr, la littérature n’échappe pas complètement aux impératifs capitalistes de notre société.
Vous me connaissez, je suis très attentive aux conditions de production des œuvres culturelles.
C’est une question que j’aborde systématiquement avec les auteurices que j’interviewe.
Leurs réponses soulignent que l’accès au marché du livre dépend de tout un tas de capitaux matériels et symboliques, comme son réseau ou sa capacité à se vendre auprès des éditeurices.
Et puis, avant même de le diffuser, pour écrire un livre il faut pouvoir financer le temps d’écriture.
Un temps très important.
Car si la littérature est un art pauvre sur le plan matériel, c’est aussi un art du temps long.
Du côté de la personne qui écrit : il faut des mois, des années pour rédiger un bon livre.
Mais aussi du côté de la personne qui lit : la plupart des romans ne se terminent pas en deux heures tout compris.
En ce sens, la littérature est un luxe, le luxe ultime, bien mieux qu’un sac Hermès.
Pas parce qu’elle est “dispensable” ou frivole, au contraire, mais parce qu’elle repose sur un rapport au temps, à l’effort et à la récompense qui est aux antipodes du MacDo.
Quelqu’une quelque part a pris des mois, ou plutôt des années de sa vie, a sué, s’est réveillée la nuit, a cru abandonner trois fois, s’y est remise, a décidé d’avoir moins de temps pour se distraire ou se reposer et tout ça pour quoi ?
Pas pour devenir riche, ou puissante, ou belle, ou célèbre.
Juste pour essayer de raconter une histoire qui va vous toucher.
Et vous, à votre tour, vous lui donnez des heures de votre vie. Vous lui faites confiance.
Vous pleurez, vous riez à propos de personnages qui n’ont jamais existé, et qui pourtant vivent.
Vous vous laissez transformer par une histoire que quelqu’un a inventée.
C’est démesuré. Absurde. Et même un peu con.
C’est magnifique, non ?
En plus, c’est un luxe sans snobisme.
Quand je parle de littérature de fiction, je ne pense pas seulement à Léon Tolstoï ou Vladimir Nabokov.
Je lis beaucoup de romances, de voyages dans le temps, de space opera à base de vaisseaux spatiaux et d’aliens…
Voici qui résume à peu près ma pensée :
C’est pour ça que mon prochain livre sera un roman.
Même si, pour moi, c’est environ 10 000 fois plus difficile à écrire qu’un essai.
Plus technique, plus long, plus vulnérable aussi : pour qu’un roman soit intéressant, il faut accepter de se mettre à nu et précisément, accepter de révéler des parties de soi dont on n’est même pas consciente. Pour une control-freak dans mon genre, c’est un vertige.
Sans doute un peu plus dur à vendre aussi.
Certes, d’après les chiffres au niveau du marché français, les romans se diffusent mieux que les essais.
En ce qui me concerne, Comment devenir lesbienne, mon essai, s’est écoulé à un nombre d’exemplaires dix fois supérieur aux ventes de mon premier roman, Ressource humaine. En plus, la maison d’édition qui me publie, Hors d’Atteinte, est pour l’instant mieux identifiée sur les essais que sur sa collection de littérature générale (c’est le petit nom de la fiction “généraliste”).
Le plus facile serait de proposer un autre essai avec une grille d’analyse queer et féministe.
Mais non, d’abord et avant tout, je veux écrire un autre roman, je n’en démords pas.
Parce que ce qui me fait tenir, moi, c’est la littérature de fiction.
J’aime qu’on me raconte des histoires, de belles histoires, et j’aime essayer d’en raconter à mon tour.
Ca ne veut pas dire des rebondissements à foison.
Souvent, c’est même le contraire, de très nombreux et très bruyants rebondissements masquent un manque de substance, comme en témoignent environ 99% des productions Netflix.
Une histoire qui se tient, c’est juste une histoire qui nous tient en haleine, et qui cherche à dire quelque chose de l’expérience humaine.
On ne connait pas, je crois, de sociétés humaines sans histoires. Sans récits.
Les gens qui lisent uniquement de la théorie, pour moi c’est du même ordre que quelqu’un qui ne se nourrit que pour alimenter son corps en calories.
Techniquement, ça marche, vous n’allez pas mourir, chacune est libre.
Mais on a quand même plus de chances de devenir potes si vous aimez les gâteaux au chocolat (ou les nems) (ou le parmesan)(mmh, je crois que j’ai faim).
La semaine prochaine, j’aurai quelque chose à vous annoncer.
Une invitation.
Une façon pour vous d’entrer dans les coulisses de l’écriture de ce roman sur lequel je travaille depuis des années.
Et même, de voir votre nom figurer en toutes lettres dans le livre imprimé.
D’ici là, j’aimerais que vous me disiez :
1. Est-ce que vous lisez de la fiction, des romans ? oui, non, un peu, beaucoup ? Pourquoi ?
2. Quelles sont les lectures récentes qui vous ont le plus touché·e ?
Vous pouvez me répondre dans ce petit document partagé — vous verrez aussi les réponses des autres, et glânerez peut-être quelques titres à ajouter à vos prochaines lectures.
Je me réjouis de vous lire.
P.-S. : le film Marvel est plutôt pas mal, j’ai passé un chouette moment.
Bon, sauf pendant les bagarres, mais on me murmure dans l’oreillette que ce n’est pas extrêmement fair-play de critiquer un film d’action pour… ses scènes d’action.
P.-P.-S.: puisqu’on parle de luxe, saviez-vous que les sacs Louis Vuitton monogrammés sont composés principalement de plastique ?
Je vous jure que c’est vrai.
Il y a donc des gens qui claquent des sommes folles pour frimer avec du PVC.
P.-P.-P.-S.: plus d’une centaine de personnes s’est manifestée la semaine dernière, pour me dire que vous aviez désinstallé Instagram.
YAYYYYY !! Je suis super fière de nous.
Bon courage pour l'écriture de ce roman !
(par ailleurs, je me réjouis de savoir que les sacs sont en pvc et pas en animal mort)
Hâte de découvrir ton roman (et il faudra que je me procure ton essai, je t'ai découverte par ton infolettre !). Et pour Marvel je comprends ahah, j'avais regardé Civil War et j'étais sortie en mode "raaah mais politiquement ça aurait pu être intéressant s'ils avaient mis moins de bagarres" 🤣