"Oui, le militantisme peut être joyeux"
Le succès surprise d'un kamasutra saphique et participatif
L’image est floue mais je distingue un arbre ensoleillé derrière leurs sourires. Elles m’expliquent qu’elles se trouvent au milieu de la forêt, dans le Poitou où elles ont emménagé tout récemment, et qu’il n’y a pas beaucoup de réseau. On tente l’appel vidéo mais on doit vite renoncer.
Alors c’est par téléphone qu’on a discuté, comme au bon vieux temps.
Elles ? Lou et Leontin, les deux personnes derrière le projet de visibilisation des sexualités saphiques “Sapphosutra”.
J’avais envie de discuter avec elles depuis longtemps, tant je suis impressionnée par la ténacité avec laquelle elles mènent leurs divers projets, et contribuent à faire exister les communautés lesbiennes, bies et pans à la fois sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie.
C’est d’ailleurs leur boutique, Sapphosutra, que j’ai choisie pour fournir le petit cadeau offert aux premières personnes qui souscrivent un abonnement annuel à la newsletter.
Vous avez raté ça ?
En deux mots : je lance une offre payante pour la newsletter (YAY) et pour vous remercier, vous recevrez chez vous un petit cadeau offert par moi (YOUPI) si vous prenez une souscription annuelle rapidement (HOURRA).
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Après avoir échangé environ 859 emails logistiques avec Léontin pour organiser au mieux notre collaboration sur les autocollants, c'était un grand plaisir de papoter amours saphiques, militantisme et réseaux sociaux.
N.B. : Comme l’entretien s’est déroulé sans visuel, par téléphone, et que j’ai eu du mal à distinguer les voix de Lou et Leontin, la plupart des réponses sont juste attribuées à Sapphosutra.
Vous avez lancé un compte instagram permettant de visibiliser les sexualités saphiques.
Quel a été le déclencheur pour vous lancer ?
Lou - On n'avait pas du tout pensé ce projet comme quelque chose de professionnel, à la base.
On est parties du constat qu’il y avait très peu de représentations saphiques : un jour, j’ai tapé les mots “kamasutra lesbien” dans un moteur de recherche et je n’ai trouvé qu'une poignée de positions, pas forcément super réalistes en plus.
Leo m’a dit : “tu pourrais faire quelque chose de bien, toi !”. Il se trouve que je suis illustratrice.
Plutôt que d’imposer notre vision de la sexualité saphique, qui aurait forcément été biaisée, on a commencé par lancer un compte Instagram afin que les gens puissent nous décrire leur kamasutra. On a lancé des discussions participatives en story et en post, en demandant aux abonné·es de nous décrire leur corps et leurs positions préférées.
Moi, je les illustrais.
Notre approche était et reste donc participative.
C'était important parce qu’il y a une pluralité de corps : certaines positions fonctionnent pour certains corps et pas pour d’autres.
Ce compte a constitué le terreau pour tous les autres projets qu’on avait envie de mener.
Comme vous le soulignez, votre principal outil de travail reste Instagram.
Comment vivez-vous la censure qu’Instagram exerce sur les comptes sexo ? Est-ce que c'est un gros sujet d'inquiétude pour vous ? Vous vous en sortez en restant en privé ?
Notre compte est public ! Cependant on a toujours peur de la censure, qui est de plus en plus dure sur Instagram.
Aujourd'hui, on ne peut quasiment plus publier des positions du kamasutra, même si c'est du dessin. C'est vrai que ça nous effraie mais on trouve des alternatives : publier un livre avec toutes nos illustrations, par exemple. Ou encore disposer de notre site internet.
On va continuer à publier des illustrations érotiques plus douces sur les réseaux, sans que les génitaux ou les tétons ne soient visibles.
Mais on ne va pas se mentir, le fait que le travail qu'on fournit depuis 4 ans se volatilise du jour au lendemain est source d'inquiétude.
Malgré cette censure, votre travail rencontre un vif succès.
Vous avez aujourd’hui près de 50 000 followers, c’est énorme ! Au départ, quand vous avez lancé votre compte, vous vous attendiez à ce qu’il prenne une telle ampleur ?
Non, pas tellement ! On était surprises que beaucoup de personnes nous suivent aussi vite.
On avait bien identifié le manque de visibilité saphique mais on ne s’était pas rendu compte de l’ampleur du besoin de représentation et d’imaginaire, du nombre de personnes qui étaient en demande.
Il faut savoir aussi qu’on a été relayées très rapidement par des médias et que la presse a joué un rôle assez important dans la visibilité de Sapphosutra au départ.
Pour la petite anecdote, notre première interview, c'était sur le site de Femme Actuelle. C'était rigolo parce que c’était sur ce même site qu’on avait trouvé le premier kamasutra lesbien super incomplet, avec 5 positions !
Ce succès surprise nous a ouvert beaucoup de portes et nous a permis de mener plein d’autres projets, militants et queers.
Vous pensez à quels projets, par exemple ?
Lou - Oh, il y en a plein ! Les “sapphodates”, par exemple, les gens se rencontraient par groupes de 10 dans leur ville. C'était trop chouette de permettre aux personnes de tisser du lien et de se voir “en vrai”.
On développe aussi des conférences et des ateliers, on va à la rencontre des gens pour offrir un regard sur les luttes LGBT, les divergences et points communs entre les différentes communautés qui composent le monde LGBT. On anime des ateliers sexos en petits groupes. On a fait du speed dating militant aussi, les gens rencontraient des assos pour commencer à militer.
En ce moment, on finalise les retouches pour notre livre qui va sortir en février prochain. Il s’agira à la fois d’un kamasutra saphique et d’une anthologie de poésie.
Le livre regroupe toutes nos illustrations et comprend plusieurs illustrations inédites. Chaque illustration est mise en regard d’une poésie érotique, sur la base d’une anthologie constituée par Léo.
On nous demande super souvent si on peut recommander des ouvrages ou des textes érotiques saphiques, alors on s’est dit qu’il fallait en proposer.
Leo - On développe aussi beaucoup la boutique : on vend des illustrations, maintenant aussi du textile. C’est un pôle assez important de nos activités, qui permet de travailler à la visibilisation des sexualites saphiques tout en finançant nos activités militantes.
Vous nous en dites un peu plus là-dessus ? Comment alliez-vous votre militantisme et ce petit commerce ?
Nous vendons des produits queers et saphiques faits par et pour des personnes queers.
Attention, nous ne sommes pas du tout une grosse entreprise. On dessine à la main, on réfléchit toutes les deux aux produits qu’on veut fabriquer… Il y a une réflexion derrière ce que vous trouvez sur la boutique.
Au niveau de la production, on ne travaille qu’avec des gens en France et on essaie d’utiliser uniquement des matières éthiques, qui ne viennent pas de circuits irrespectueux des personnes et de notre planète.
Pour nos produits textiles, on utilise du coton bio ou du polyester recyclé. Les sérigraphies et broderies sont réalisées dans un atelier à Montpellier. Les badges sont faits à la main dans la fanzinothèque qui se trouve à Poitiers, juste à côté de chez nous. Les impressions aussi sont faites juste à côté : on tente de valoriser le territoire dans lequel on s’est implantées.
Y a-t-il une œuvre que vous voudriez conseiller aux personnes qui nous lisent, pour contribuer à la faire circuler ?
Je pense au beau livre Woman’s Lands, de Françoise Flamant, sur la création des communautés lesbiennes d'Oregon de 1960 à 2012.
C'est passionnant, ça évoque la vie en communauté, en non-mixité, au beau milieu d'une nature gigantesque. C'est l'histoire de la création d'une utopie qui connaît ses forces et ses limites. C'est très inspirant et même magnifique de retrouver le vécu de ces femmes !
J’ai noté que vous parlez toujours des sexualités saphiques, et pas lesbiennes : il me semble que vous êtes particulièrement soucieuses d’inclure les personnes bisexuelles et pansexuelles.
Je me demande quel regard vous portez sur l’articulation actuelle des communautés lesbienne et bisexuelle.
On sait que notre histoire est marquée par beaucoup de tensions et de biphobie de la part des communautés lesbiennes. Est-ce que ça vous paraît en voie d’amélioration ?
Leo - On essaie effectivement de lutter contre la biphobie, c’est super important pour nous. Est-ce en voie d'amélioration ? Oui, je le crois vraiment. Comme on te le disait tout a l’heure, j’ai mené des recherches sur la poésie érotique saphique pour constituer une anthologie. Au fil des siècles, on voit nettement une évolution, une ouverture sur la bisexualité et la pansexualité. Tant mieux !
On utilise justement le mot “saphique” pour inclure tout le monde. C’est un adjectif dérivé du nom de la poétesse grecque Sappho, qui a vécu au VII siècle avant JC.
C’est un terme qu’on aime bien pour son ouverture. Il est davantage utilisé dans le monde anglo-saxon mais il commence aussi à se démocratiser en France. Ce mot nous semble plus ouvert, plus large, plus compatible avec une diversité d'identités sexuelles et de genre.
Il n'y a évidemment jamais de mot parfait, qui convienne à tout le monde, mais disons que “saphique”, c’est celui qui nous convient le plus !
C’est un très beau mot, je suis bien d’accord ! Et puisqu’on parle de mots, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais cette newsletter s’appelle “le grain” : ça vous évoque quoi ?
Le grain à moudre, le grain qui fait réfléchir.
Bon, on est entourées de champ donc on pense au grain de blé, forcément !
Le grain de folie aussi…
La petite graine qui va semer et pousser, autant métaphoriquement que dans le champ.
Plein de pistes différentes !
Dernière question : si on ne devait retenir qu'une seule chose de votre militantisme, ce serait quoi ?
Le plus important pour nous, c’est d'impulser une image positive de notre militantisme et de nos imaginaires.
On a envie de transmettre du bonheur. D’apporter quelque chose de joyeux.
Oui, on peut être militantes et être contentes ! Oui, on peut être heureux·ses ! Oui, on a le droit de vivre ce bonheur librement ! Oui, on peut le fêter et le célébrer ensemble !
Quel joli mot de la fin ! Merci, Lou et Leontin.
Si la lecture de cet entretien vous a donné envie d’en savoir plus sur Sapphosutra, vous pouvez aller faire un tour sur le site flambant neuf ici et sur leur compte Instagram, là.
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