Pourquoi les lesbiennes ont-elles plus d’orgasmes que les hétéras ?
Tome I : non, le sexe n’est pas “naturellement meilleur” entre femmes.
La première fois que je me suis retrouvée au lit avec une femme, je m’attendais à entrer d’un pas léger dans le royaume de la Simplicité et de l’Évidence.
Je suis une meuf, je me masturbe, donc je vais savoir donner du plaisir à une autre femme.
J’avais d’ailleurs souvent entendu, et la plupart du temps de personnes bien intentionnées voire queer, que le sexe entre meufs était « naturellement » meilleur que le sexe hétéro : les femmes savent forcément mieux que les hommes comment faire jouir une femme.
Sous-entendu : puisqu’elles ont le même appareil génital.
Des copains pédés répètent ça à l’envi aussi : évidemment que c’est « meilleur » entre hommes, évidemment qu’un mec sait mieux comment sucer un autre mec qu’une femme ne pourra jamais le faire.
Les chiffres semblent même confirmer ce point de vue : d’après une étude de 2014 parue dans le Journal of Sexual Medicine et relayée par le site d’informations Slate, les femmes hétérosexuelles déclarent avoir un orgasme 61,6 % du temps, alors que les lesbiennes atteindraient l’orgasme presque 75 % du temps.
Bref : les lesbiennes jouissent plus que les hétéras, c’est un fait.
Au-delà de l’orgasme, d’après une enquête réalisée sur un échantillon vraiment pas représentatif (mes potes), je suis convaincue que les lesbiennes ont souvent une sexualité beaucoup plus ouverte, épanouissante et marrante que les hétéros.
Alors, est-ce que c’est tout bêtement parce que les choses sont “naturellement” plus simples et plus fluides, entre meufs ?
Comme je l’ai découvert la première fois que j’ai aventuré mon corps auprès celui d’une autre femme : euh… non.
Je ne sais pas si le royaume de la Simplicité et de l'Évidence existe, mais je ne l’ai clairement pas trouvé ce jour-là. J’ai pu voir les portes de la terre promise se refermer sans appel au moment où je tâtonnais pour trouver le clitoris de ma partenaire, avec l’impression désagréable d’être un rhinocéros tentant de cueillir un bouquet de marguerites.
J’étais vexée comme un pou. Et paniquée.
Si je ne savais pas “spontanément” faire jouir une meuf, c’est que j’avais un problème, non ?
Ça voulait dire que je n’étais “pas douée”. Condamnée à être nulle, alors ? Une fausse lesbienne, sûrement !
Heureusement, malgré cette débâcle intérieure et mon énorme sentiment d’imposture initial, une certaine horniness m’a fait persévérer et aujourd’hui, je vois les choses différemment.
Je sais désormais que le problème, ce n’était pas moi.
Le problème, c’était de penser que le sexe allait “forcément” et “naturellement” être à la fois simple et délicieux avec une meuf.
L’idée que si tu sais te faire jouir, tu sais faire jouir une autre personne qui a un appareil génital similaire au tien a pour elle l’attrait du « bon sens », mais comme souvent avec les réflexions de « bon sens », elle traduit des préjugés et des impensés vraiment gênants.
Déjà, cette façon de voir les choses laisse de côté les personnes trans non opérées, en oubliant que certaines femmes n’ont pas de vulve et que certains hommes en sont dotés. Ça met la puce à l’oreille sur la justesse du propos.
Ensuite, ça naturalise et objectifie la « qualité » du sexe, en partant du principe que nous avons tou.te.s plus ou moins les mêmes zones érogènes et qu’il existe quelque part une espèce de mode d’emploi général, applicable à toutes et tous, dont toute personne est dotée à la naissance, pour elle-même et pour les autres.
Mes expériences sexuelles invalident totalement ce présupposé. J’ai appris que toutes les femmes n’aiment pas les mêmes choses – vraiment pas.
Toutes les femmes n’ont pas les mêmes vulves et oui, une meuf cis aussi peut avoir du mal à « trouver » le clitoris d’une autre personne : je suis là pour en témoigner.
Il y a peut-être effectivement des espèces de « basiques », comme penser à regarder ce qui se passe du côté du clitoris, mais je ne vois pas en quoi un mec (cis ou pas) serait a priori moins doué que moi pour le faire.
La façon de toucher cette zone, la pression, la vitesse, la forme du mouvement, la matière (une langue, un doigt, une autre partie du corps, un objet) : tout dépend de la personne avec qui l’on partage cette intimité et tout dépend de ce dont elle a envie à ce moment précis.
Quand une femme en rencontre une autre, à ma connaissance, il n’existe pas encore de processus télépathique miraculeux qui lui permet de savoir ce qui ferait mouiller l’autre.
Non seulement on ne sait pas « naturellement » comment toucher l’autre, mais j’irais même plus loin : on ne sait pas nécessairement « naturellement » comment se donner du plaisir à soi-même. Surtout quand on a été socialisée comme une femme, c’est-à-dire le plus souvent dans la honte (au pire) ou l’indifférence (au mieux) vis-à-vis de son sexe.
Pour le dire clairement : il y a plein de femmes qui ne se masturbent pas et qui ne savent pas comment se faire jouir. Et qui, pourtant, sont tout à fait capables d’accompagner certains hommes cis jusqu’à l’orgasme.
Comment ça se fait qu’elles n’aient pas leur propre mode d’emploi, mais celui de leurs partenaires ? Peut-être que c’est plus une question de politique que de nature, finalement ?
Et on en arrive au point qui me paraît absolument crucial : le fait de naturaliser le plaisir entre meufs n’est pas seulement embêtant parce que c’est faux.
Si c’était juste une idée reçue comme une autre, je ne me fatiguerais pas à écrire tout un texte sur le sujet.
Par exemple, je pense qu’il est néfaste de mettre les tomates au frigo : ça gâche leur goût et leur texture. Néanmoins, je ne juge pas absolument nécessaire de le faire savoir au monde.
Alors, pourquoi est-ce que ce sujet est important ?
Parce que naturaliser le plaisir lesbien sur le mode « les femmes (cis) se comprennent entre elles » a deux conséquences qui me paraissent assez graves.
Première conséquence navrante : ça culpabilise à mort toutes les personnes (dont je fais partie) pour lesquelles le sexe non-hétéro n’a pas été immédiat et évident.
Une petite cerise sur le gâteau au goût amer : tu te déjà tapes tout le travail émotionnel lié à la sortie de l’hétérosexualité et en plus tu doutes de ta légitimité pour la seule raison que tu as besoin de temps et de communication pour construire une intimité avec ta ou tes partenaires.
Deuxième conséquence de la naturalisation du plaisir lesbien : ça évite de réfléchir aux autres raisons pour lesquelles le sexe hétérosexuel peut être moins satisfaisant. Il s’agirait d’une sorte de destin biologique – les hommes n’ont pas de vulve, ils ne peuvent pas savoir.
C’est faux.
D’abord, je le répète, parce que certains hommes ont une vulve.
Ensuite, s’agissant plus précisément des mecs cis het : si, ils pourraient savoir. Il n’y presque aucune des pratiques sexuelles que j’ai vécues avec des femmes que je n’aurais techniquement pas pu réaliser avec un mec cis.
Je peux te le garantir : les raisons pour lesquelles j’ai tellement plus de plaisir avec des femmes n’ont rien à voir avec une dextérité virtuose et innée, et encore moins une “compatibilité” biologique.
Si certain.e.s se sont senti.e.s à l’aise dès leurs premiers émois sexuels, tant mieux.
Mais c’est important de reconnaître que ce n’est pas l’expérience de tou.te.s – et que ce n’est pas un problème.
Mais alors, si ce n’est plus à cause d’une habileté innée à lire les pensées de leur partenaire, comment explique-t-on le gap orgasmique entre les lesbiennes et les hétéras ?
Réponse dans le prochain épisode.
A côté, les cliffhangers de Game of Thrones, c’est du pipi de chat.
P.S. : si tu fais partie des personnes à vulve qui ont grandi dans la honte par rapport à leurs organes génitaux, le site pussypedia est super bien fait (en anglais). Pour aller à l’essentiel : tes lèvres font pile poil la bonne taille, l’épilation est une option, tu ne sens pas mauvais. Promis. Et la masturbation est un cadeau de l’Univers.