Pourquoi les lesbiennes sont-elles "masculines" ?
Et si elles ne l'étaient en fait pas ?
Je reçois des tas de messages par Instagram, souvent de la part d’inconnu.es. Dans l’immense majorité des cas, il s’agit d’encouragements très touchants, écrits avec un souci de bienveillance qui me réchauffe le cœur et me donne un bel élan pour continuer d'écrire et de réfléchir (merci).
Et puis, il y a le 1% restant. La cour des miracles. Des insultes, des tentatives de drague, des demandes de partenariats rémunérés et bien sûr du spam.
Il y a quelque temps, au beau milieu d’une loterie pour remporter un aspirateur Dyson et des invectives d’un Corentin vexe, j’ai reçu un drôle de message qui disait en substance :
Pourquoi les lesbiennes font-elles tant d'efforts pour ressembler à des hommes ?
Comment être attirées par les lesbiennes quand ce sont plus ou moins des hommes, quand elles ne sont pas "féminines" ? puisqu’on est censée aimer des femmes, après tout ?
Sur le coup, j’avoue : j’ai juste pouffé.
La question me semble tellement à côté de la plaque que c’en devient marrant.
Une fois passées les premières minutes d’amusement agacé, je me suis dit que cette personne disait tout haut ce que beaucoup de personnes pensent plus bas. Sérieusement, qui n’a jamais entendu ce genre de remarques ? Qui n’a jamais été témoin de la petite moue dépitée des hétéros qui regrettent que les lesbiennes soient aussi masculines parce qu’enfin, deux femmes qui s’aiment, ma foi pourquoi pas - ce pourrait même être excitant - mais alors en talons et avec les cheveux longs !
Moi-même, quand j’ai commencé à explorer mon désir pour des meufs, j'étais troublée par la dissidence qu’exprimaient les corps de nombreuses lesbiennes. Je ne comprenais pas bien leurs poils, leurs cheveux courts, leurs tatouages et leur façon de s'asseoir.
Quand une question revient tout le temps, ça vaut sans doute la peine de la prendre au sérieux, et de tenter d’y répondre honnêtement.
Alors allons-y.
Pourquoi les lesbiennes, dans leur ensemble, ne se soumettent-elles pas davantage aux codes de la féminité traditionnelle ?
Réponse immédiate : parce que c’est chiant ? parce que c’est un boulot énorme, et douloureux, et souvent sans intérêt ? Si on peut vivre joyeusement et librement, relationner avec des personnes fantastiques et militer et rire sans s'épiler les aisselles toutes les cinq semaines… pourquoi se l’infligerait-on ?
La vraie question, c’est : pourquoi les hétéras font-elles tellement d’efforts, paient-elles autant d’argent et supportent-elles autant de douleur pour ressembler à de “vraies” femmes ? qu’ont-elles à y gagner ?
La réponse n’est pas particulièrement cachée ou compliquée : elles s'achètent une forme de paix en se conformant à la norme, parce que la société n’est pas tendre avec les femmes qui en devient.
Porter les cheveux longs, mettre des robes et des talons, savoir se maquiller, c’est du boulot. Qui, en hétérosexualité, est compense par un salaire : la valorisation de soi par le truchement du désir masculin, ou a minima une forme d’approbation qui évite le rejet et le harcèlement.
Les lesbiennes ont moins besoin de cette monnaie-là et sont donc logiquement plus nombreuses à se détacher, au moins en partie, du travail qui est nécessaire pour la percevoir.
Voila. C’est aussi simple que ça et l’analyse pourrait s'arrêter là.
Mais je crois qu’il faut aussi et surtout se demander de quoi on parle vraiment quand on parle des lesbiennes ‘masculines’. La majorité des lesbiennes sont-elles vraiment “masculines”, comme le suggère ce message ?
A première vue, quand on fait partie des communautés LGBT, on se dit que les gens qui critiquent les lesbiennes “trop masculines” doivent avoir en tête les lesbiennes dites “butch”, celles qui adoptent des codes traditionnellement perçus comme masculins : cheveux courts, chemises à carreaux, pas de maquillage.
Du coup, on répond le plus souvent à cette question-agression en défendant le droit des lesbiennes butches à exister. Or oui, bien sûr, les butches sont formidables. Mais je crois qu’on passe à côté du sujet.
En effet, quand je vais dans des lieux collectifs lesbiens, je ne vois pas une majorité de butches, et même pas du tout. Alors, pourquoi cette question revient tout le temps ?
Si les lesbiennes butches ne forment pas la majorité de nos rangs, pourquoi cette obsession collective pour les lesbiennes ‘masculines’ ?
Pour trois raisons.
D’abord, parce que les lesbiennes plus masculines sont tout simplement plus visibles. Les lesbiennes fems passent inaperçues. Ce n’est pas que toutes les lesbiennes soient masculines, c’est plutôt que toutes les lesbiennes identifiables par des hétéros le sont.
Ensuite, parce qu’en hétéropatriarcat cette image agit comme un repoussoir. Attention, je ne dis pas que les lesbiennes butch sont repoussantes (oh non, vraiment pas), mais je dis qu’elles font souvent peur aux heteras en raison de leur déviance visible à la norme, ce qui donne une raison supplémentaire aux femmes hétérosexuelles de ne jamais regarder du côté du lesbianisme, sur le mode : “si j’étais lesbienne, je détesterais porter du rouge a lèvres et des robes, or je ne le déteste pas, c’est donc que je dois être condamnée a vivre en hétéropatriarcat”.
Enfin, et c’est sans doute le point le plus intéressant, je crois que cette obsession pour les lesbiennes “masculines” vient aussi et surtout du fait qu’en hétérosexualité, les codes de la féminité sont incroyablement étroits. On est immédiatement renvoyée à une pseudo-virilité dès lors que l’on ose mettre ne serait-ce qu’un orteil hors du pré carré de l'hétéronormativité.
Comme, dans notre société, le masculin a le privilège du neutre, ce qui est perçu comme “masculin”, c’est tout ce qui sort, même d’un millimètre, du cadre de la féminité traditionnelle.
Autrement dit : beaucoup de lesbiennes féminines ou androgynes seront lues comme “masculines” par une personne hétéro.
Par exemple, je me définirais plutôt comme une personne féminine. Pour celleux qui ont besoin de concret : j’aime bien porter de faux ongles, être maquillée et avoir les jambes épilées. Et je crois être perçue souvent comme telle par mes paires lesbiennes : chez les gouines, je suis bien lue comme une meuf féminine.
Pourtant, chez les hétérosexuels, on me renvoie au masculin.
On m’a souvent dit que je ressemblais à un homme, dont une fois ou je portais un body laissant voir les trois quarts de mes seins, une jupe et du maquillage. La raison de ma pseudo "masculinité" à ce moment-là ? Mes cheveux rasés. Et n’allez pas vous dire que ça doit être ma démarche ou mon corps qui évoque à mon insu, et quel que soit mon style, la virilité : on ne m’avait jamais fait ce genre de remarques quand j’avais les cheveux longs.
Pour entrer ou sortir de la sacro-sainte féminité, il suffit donc de quinze malheureux centimètres de cheveux. C’est peu !
Je ne crois donc pas que la plupart des lesbiennes fournissent des efforts pour s’approprier des codes masculins. Vraiment pas. Celles qui le font en ont évidemment bien le droit, mais il ne s’agit pas d’une majorité.
En revanche, on sacrifie moins de temps, d’argent et d’énergie pour tenter de coller à la longue liste de ce qui est attendu d’une ‘vraie femme’, et la plus petite déviance aux normes suffit pour être renvoyée à une masculinité censée être offensante.
La vitesse à laquelle les hétéros tentent de nous bouter hors de la féminité, pour ensuite s’offusquer de notre prétendue "masculinité", est effarante.
Voici donc ma réponse à la question qui m’a été posée :
Ah là là, magnifique article ça. J'ai envie de transférer à ma maman
Excellent post, merci beaucoup ! Toujours aussi clair, pertinent et drôle. Merci <3