Sale gouine !
Comment raconter les violences homophobes ? Et pour en faire quoi ?
Je sais que je devrais en parler plus souvent - mais comment ?
Vendredi dernier, on a décidé avec ma meuf d’aller au cinéma. Sur le chemin du retour, on débriefait le film comme on le fait à chaque fois : assises côte à côte dans le S-Bahn, on discutait joyeusement. J’aime l’état si particulier d’après la salle obscure, la tête encore embrumée de toutes ces images. Un pied dans la réalité et l’autre en dehors.
Peut-être que c’est pour ça qu’on a mis quelques secondes à comprendre ce qui se passait quand ces trois types sont arrivés.
Juste avant de sortir de la rame : “Schwul !”.
Je ne suis pas tout à fait bilingue en allemand, mais ce mot là, je le connais.
Ca veut dire homo, avec une connotation nettement dépréciative - surtout quand c’est un inconnu qui te le balance, avant de s’enfuir avec un sourire en coin.
A Berlin, en 2022, on se fait encore insulter pour être ouvertement homosexuel(le).
D’un certain côté, l’incident est tout à fait banal et ne mérite pas tellement d’être raconté. Je suis effectivement schwul et j’en suis fière ; ce genre d’attaque ne m’empêche ni de dormir, ni d’aimer qui je l’entends.
Et puis, si je devais détailler par le menu toutes les fois qu’on a essayé de m’insulter en décrivant ma réalité… On ne s’en sortirait plus. J’ai mieux à faire et mieux à penser.
D’un autre côté, je n’ai pas envie de jouer à l’Amazone que rien n’atteint. Je ne crois pas que ces insultes me blessent, mais elles me fatiguent. Elles me mettent sur le qui-vive. Elles m’obligent à scanner les alentours dès que je me trouve dans un endroit public pour essayer de localiser les dangers potentiels, et de m’y préparer au mieux - une sensation dont toutes les personnes sexisées sont familières, je crois.
Et puis, à force de ne jamais raconter les attaques homophobes dont je suis l’objet, je me dis que je participe à l’invisibilisation de la lesbophobie ordinaire.
Car oui, elle est ordinaire, à Berlin comme à Paris.
Visibiliser les violences me paraît important et même nécessaire.
Parlons-en, alors ? Oui, non, pas vraiment.
Mon malaise est redoublé par le fait que, quand je finis par aborder le sujet, je ne suis vraiment pas sûre que ça fasse avancer le débat.
D’abord, je me retrouve à devoir convaincre certaines personnes que je n’exagère pas. Oui, les attaques homophobes font partie de mon quotidien. Je me sens alors obligée de sortir tout mon stock d’anecdotes déprimantes, ce qui a tendance à… me déprimer (inattendu, je sais).
Une fois que mon interlocuteurice est (enfin) convaincu.e, on se retrouve vite dans un total cul-de-sac conversationnel : tête penchée, regard compatissant, “oh là là, c’est tellement dur d’être homosexuelle…”. Et on change de sujet.
Au total, me voici coincée ici. Dans une série de paradoxes sans éclat.
Je n’ai pas envie de devoir prouver que je suis une victime et je ne peux pas nier que j’en suis une. Je n’ai pas envie de parler de la violence que je subis et je pense que je dois le faire.
L’homophobie ne m’empêche pas de vivre. J’ai la chance et le privilège — précaires — de pouvoir la traiter comme un bruit de fond déplaisant que je n’entends presque plus.
Presque.