On vient d’avoir les résultats des élections législatives.
Une partie de moi a envie de continuer ma série sur l’intelligence artificielle.
Parce que je m’y suis engagée et aussi, en toute honnêteté, parce que je suis inondée d’analyses sur la situation politique française. Je sature un brin de la redondance de tout ça.
Une autre partie se dit que quand même, le moment est historique, et que l’IA peut attendre.
Discussion avec la femme de Londres : “trouve un truc intéressant à dire, ne répète pas ce qu’on entend partout, mais parle de la situation politique”.
OK.
Je vais prendre le sujet de biais.
Partout j’entends : le travail (de la gauche) ne fait que commencer.
Partout je lis : se réjouir de cette demi-victoire, oui, mais ne pas oublier que l’extrême-droite ne cesse de progresser et qu’on a besoin de s’engager au quotidien. Pas uniquement avant une échéance électorale.
Je suis d’accord.
Mais je pense aussi :
“S’engager, ça veut dire quoi ? qui a la capacité de le faire et pourquoi ?”
Certain·es d’entre nous ont été politisé·es dès leur enfance, viennent de familles où on va manifester et en réunion syndicale comme on prend le thé.
D’autres ont pris le train en marche pendant leurs études, en s’investissant dans des associations ou des syndicats étudiants.
D’autres encore — c’est mon cas — ont raté le coche à plusieurs reprises, pour plein de raisons que je n’ai pas le temps d’aborder ici.
(J’en dis quand même une, politiquement significative : plus tu fais des études prestigieuses, plus ta politisation à gauche est découragée par tout un tas de dispositifs symboliques et pratiques et plus ta politisation à droite est encouragée comme la seule forme acceptable de “neutralité”.
Concrètement on forme des “élites” politisées à droite et convaincues d’être dépolitisées. Un mélange super dangereux.)
On se retrouve, à l’âge adulte, pris en tenaille entre notre envie de s’investir… et notre absolue incompétence.
Car oui, militer, ça demande des savoirs.
Avec tous les suffixes que vous pouvez imaginer : savoir-faire, savoir-être…
S’engager politiquement, ça ne tombe pas du ciel.
Il y a toujours une trajectoire sociologique derrière.
Et je dois dire que je suis super irritée par la façon dont certain·es appellent à faire du militantisme, en prenant clairement de haut les personnes auxquelles iels s’adressent.
Comme si la seule raison pour laquelle on ne s’engageait pas, c’était un nombrilisme petit-bourgeois. Comme si ce n’était pas notre société toute entière qui est construite sur une incitation, voire une injonction, à ne pas trop participer à la vie publique.
Ca me donne envie de partager avec vous ce que j’ai appris en m’engageant sur le tard.
Pour être claire : je ne parle pas depuis la position d’une meuf qui trouve que son engagement politique est parfait et exemplaire. Pas du tout. Je me débats encore avec ces questions.
J’ai perpétuellement l’impression d’en faire pas assez, ou trop, ou pas le bon truc, ou pas avec les bonnes personnes… Et c’est précisément pour ça que je pense que j’ai des trucs intéressants à dire sur ce sujet.
A mon sens, il y a un cycle de la passivité politique.
Que je perçois beauuuuuuuuuuucoup autour de moi et en moi.
Vous avez bien conscience que la situation politique est merdique et vous avez envie d’agir.
Mais vous rencontrez un ou plusieurs des problèmes suivants :
vous manquez de culture politique pour identifier des collectifs qui vous correspondraient ;
quand vous faites des recherches ou quand vous vous investissez un petit peu, vous êtes toujours déçu·e : le collectif ne correspond pas totalement à vos idées ou à votre façon de faire les choses ;
vous avez l’impression que ça ne sert à rien. C’est bien joli d’organiser la fête des voisins, mais c’est pas comme ça qu’on va lutter contre l’arrivée des fascistes au pouvoir.
Du coup, vous vous sentez de plus en plus piégé·e dans votre inaction, de plus en plus paralysée devant l’immensité de la tâche à accomplir.
Horreur, malheur : à ce rythme, vous allez finir par devenir un·e con·ne cynique ou donneur·euse de leçon.
(Y a-t-il plus agaçant que les gens qui ne se sont jamais engagés dans le moindre collectif et font des leçons de politique à tout-va ? Je ne crois pas.)
Mais nooooooon !
Vous pouvez tout à fait casser ce cercle vicieux.
Première étape : comprendre que l’engagement est un truc progressif, commencer petit et concret.
Ce que je veux dire par là : en effet, vous n’allez jamais trouver LA solution aux profonds problèmes politiques français.
Mais vous pouvez trouver UNE action concrète d’UN collectif donné qui vous paraît pas trop nulle.
Vous noterez que je place volontairement la barre au sol : une action pas trop nulle.
Si vous dégotez direct un collectif du feu de dieu qui vous redonne foi en la vie, tant mieux pour vous, mais c’est préférable d’avoir conscience que le plus souvent, ça se passe pas comme ça.
Le plus souvent, on commence à s’engager avec un collectif donné (asso, syndicat, parti, collectif informel, whatever) qui n’est pas forcément tip-top mais qui a le mérite de nous paraître accessible.
Je vous conseille plutôt de les rejoindre dans la perspective d’une action concrète qui approche, pour rentrer tout de suite dans le bain, faire des trucs rapidement, apprendre à connaître les autres.
Sinon, vous risquez d’aller de réunion chiante en réunion chiante, dans la position désagréable de “la nouvelle personne qu’on connaît pas trop”, et de vous démotiver.
(Ca vous permet aussi d’éliminer les collectifs qui ne font rien de concret, et passent juste des heures à s’engueuler sur le contenu de leur manifeste politique. Testé et pas approuvé.)
C’est un point de départ.
Et là, on rencontre d’autres personnes qui partagent, au moins en partie, nos valeurs et nos envies.
(Bien sûr, on rencontre aussi tout un tas de gens nazes, malveillants, irrespectueux. C’est la vraie vie. Dans la vraie vie, les con·nes sont partout.)
On se sent moins seul·e. On affine sa pensée politique. On apprend à faire des trucs qu’on ne savait pas faire avant, comme organiser une manifestation, ou écrire un email pour demander des fonds, ou présenter le collectif à des personnes nouvellement arrivées.
On rencontre aussi d’autres collectifs (à des manifs, des événements associatifs, des cafés-débats…).
Certains de ces groupes militants vous plairont davantage que le vôtre : orga qui correspond davantage à ce que vous cherchez en termes pratiques, discours plus aligné, personnes plus sympas…
Bonne nouvelle !
Vous avez agi, vous avez grandi et…
Vous êtes libre de dire au revoir à votre collectif et d’en rejoindre (ou créer) un autre.
Deuxième étape : accepter que les effets de l’engagement politique sont diffus et souvent indirects.
Alors là… C’est un truc qui m’a énormément posé problème.
On va dire que je suis “impact-oriented”.
En français : j’accorde beaucoup d’importance aux conséquences concrètes de mes actions. Faire pour faire, pour la beauté du geste, ça m’intéresse pas tellement ou rarement.
Ca m’a conduite au bord de la folie dans mes bullshit jobs, où je passais mon temps à effectuer des tâches certes bien payées mais totalement inutiles.
Et ça m’a aussi posé problème en matière de militantisme.
Parce que je suis extrêmement consciente que tout ce que je peux faire à mon échelle, ou à l’échelle d’un petit collectif de gauche, constitue une action d’une ampleur risible face à la montée du fascisme en Europe, financée par des milliardaires.
Sauf que…
L’action politique, c’est une somme de plein de petites actions, qui se renforcent et se répondent les unes les autres.
Tu ne sais jamais où ça commence et où ça s’arrête vraiment.
(C’est à la fois beau et horriblement frustrant.)
Je vous donne un exemple que je trouve parlant : en Allemagne, dans les années 1930, les nazis ont interdit les clubs de foot ouvriers.
Parce que c’étaient des endroits de solidarité ouvrière, et de construction d’un modèle sportif qui ne correspondait pas à l’idéal national-socialiste de pureté et de perfection.
Ce qui veut dire aussi : ces endroits ont été jugés suffisamment dangereux pour être interdits.
Peut-être que les personnes qui venaient jouer au foot le dimanche matin se disaient que ce qu’elles faisaient, c’était dérisoire, mais en fait non.
En fait, c’était précieux. C’était déjà politique.
Votre collectif, c’est pareil.
Vu de l’intérieur, ça n’a l’air de rien, mais en réalité construire de la solidarité de gauche c’est déjà énorme.
D’ailleurs, à mes yeux, un des effets les plus importants de l’engagement politique, ce n’est pas le produit “externe” (genre la manif en elle-même, ou le café-débat en lui-même)…
Mais ce sont les liens de solidarité qui se construisent avec d’autres personnes.
Se connaître, se faire confiance, savoir qu’on peut compter les un·es sur les autres.
(Encore une fois, attention à ne pas idéaliser le militantisme : on ne crée pas ces liens de profonde solidarité avec tous les gens qu’on croise dans des espaces militants, et c’est pas grave.)
Du coup, si on reprend mon schéma mais que cette fois, on s’engage dans une trajectoire d’engagement, ça donne ça :
Alors, est-ce que ça vous parle ?
Surtout, est-ce que ça vous donne des clés pour vous bouger les miches ?
(pardon my French)
Parce que c’est vrai, ce qu’on entend partout.
Sans vous, sans nous, aucun projet progressiste n’a la moindre chance de gagner.
Que vous soyez militante depuis des lustres ou bien toute timide à l’idée de rejoindre un collectif : si vous avez des réflexions à partager, écrivez-moi (en laissant un commentaire ou bien en répondant à cet email).
A très vite 🌱
Pour se rassurer sur l'impact de ce qu'on fait, c'est important de se rappeler comment des petites actions nous ont marqué nous à nos débuts : moi je me souviens des autoc et affiches queers dans ma ville avant que je soit out qui me faisaient un bien fou, des premiers fanzines que j'ai lu, des premières discussions,ect
Aujourd'hui je suis depuis 7 ans dans la même asso et parfois j'ai l'impression que ce que je fais n'avance à rien (spoiler : c'est faux) mais si je reprends les yeux du moi de 18/20 ans les accueils chaleureux, l'entraide, les groupes de parole et les manifs qu'on met en place font des effets concrets pour plein de personnes qui seraient jamais arrivées à la politique si elles avaient pas fréquentées nos espaces.
Bref, militer, c’est comme le ménage : ce n’est pas un bon coup très visible, c’est une somme de petites actions plusieurs fois par heure ou par jour où par semaine, mais ce n’est pas « rien ».