"Vraiment, ne les écoute pas !"
Entretien avec Tiffany Cooper, autrice de Patatouille (2022) et L'Amour est partout (2023)
Quand j'étais ado et jeune adulte, j'étais OBSÉDÉE par l'idée de me trouver un mec.
Le célibat me paraissait à la fois :
inéluctable (vu que je me trouvais moche comme un pou) ;
le pire destin envisageable.
J’ai grandi en entendant un bien joli dicton (tout droit sorti du Moyen-Age) : “si tu ne veux pas des princes, sache que les rois ne voudront pas de toi”.
Ce que ça voulait dire :
“Attention, si tu fais trop la fine bouche avec les hommes, si tu vises trop haut…
tu vas finir 🕷️ TOUTE SEULE 🕷️”.
*insérer une sombre musique de film d’horreur ici*
On peut dire que cette mise en garde a été efficace : j’ai été une fille facile.
Franchement, je suis sortie avec plein de mecs pour la seule raison qu’ils avaient l’air d’en avoir envie. Dans ma vision des choses, ils me faisaient une faveur : souvenez-vous bien que, sans eux, je risquais de finir 🕷️ TOUTE SEULE 🕷️.
Aujourd’hui, quand je passe en revue, dans mon esprit, les mecs avec qui j’ai couché ou relationné uniquement parce qu’ils étaient partants, je suis prise entre l’effroi et le fou rire.
MON DIEU.
Vous n’imaginez pas la désolante nullité de nombre d’entre eux.
Enfin, peut-être que si, vous imaginez. En particulier si vous êtes une femme.
Peut-être même que vous voyez exactement ce dont je veux parler.
Le pire (ou le meilleur, c’est selon) dans cette galerie des horreurs, c’est François-Xavier.
Ouiiiiiiiiiiiii je sais, déjà, ce prénom.
Quand j’ai enfin capté que, vraiment, je ne pouvais pas le blairer (après l’avoir fréquenté pendant quelques mois, quand même), il était vexé comme un pou et m’a expliqué que, quoi que j’en dise avec mes discours féministes, je finirais par me marier avec un homme traditionnel. Et avoir 7 enfants.
Quel flair !! Quelle intuition ! Il avait tout compris au film, ce François-Xavier !!
Trêve de plaisanterie.
Tout ça est un peu marrant… mais aussi carrément triste.
Les messages qu’on fait passer aux petites filles sur l’amour doivent changer.
Un monde où les jeunes (et moins jeunes) femmes ne pensent pas qu’elles ont besoin d’une relation romantico-sexuelle pour être validées et aimées, c’est un monde déjà un peu meilleur.
Sans amoureux ou sans amoureuse, on n’est pas nécessairement 🕷️ TOUTE SEULE 🕷️.
On peut être riche d’amis, de passions, de familles choisies.
La bonne nouvelle, c’est qu’il existe désormais un super chouette livre pour nous aider à faire passer le mot : L’Amour est partout, de Tiffany Cooper.
Dans ce livre jeunesse (2023, ed. Eyrolles), on suit Ava, une petite fille qui est toute triste après que sa déclaration d’amour à un copain de classe a fait plof.
Heureusement, Ava va bien vite se rendre compte que l’amour ne se limite pas aux “amoureux”.
C’est un très bel album jeunesse, que je vous conseille de glisser sous le sapin pour toutes les petites filles (et pourquoi pas tous les petits garçons ?) de votre entourage.
Non seulement il va les apaiser aujourd’hui, mais je pense qu’il continuera de leur faire du bien dans 15 ans, quand un François-Xavier de ce monde croisera leur chemin, et qu’elles se sentiront assez fortes et sûres d’elles-mêmes pour poliment décliner son invitation (et ses douteuses prophéties).
Tiffany Cooper, illustratrice, autrice et podcasteuse, a déjà écrit un autre album jeunesse qui m’avait beaucoup touchée, Patatouille (2022).
Dans ce livre paru aux merveilleuses éditions indépendantes On ne compte pas pour du beurre, spécialisées en littérature jeunesse inclusive, un petit garçon apprend à garder ses distances avec un monstre tout dégueu, Pat’ le patriarcat.
Je trouve très intéressante la démarche d'écriture de Tiffany Cooper : elle propose des livres jeunesses à la fois bienveillants, doux et politisés.
Vous me voyez venir…
J’ai eu envie d’en parler avec elle.
Notre entretien a été à son image : vif, franc et plein de joie.
Bonne lecture !
On va commencer avec mon grand classique : depuis quand écris-tu ?
Ce qui est venu en premier, c’est l’illustration. J’ai toujours dessiné, depuis toute petite.
Dans mes premiers souvenirs, qui datent de mes 3 ou 4 ans, je dessine déjà.
On m’a toujours dit que je dessinais bien, ça m'a encouragée. Et le dessin, avec l’imaginaire qui l’accompagne, ça m’a permis de garder la tête hors de l’eau pendant mon enfance.
Je viens d'un milieu privilégié mais j’ai subi du harcèlement scolaire pendant toute ma scolarité et mon éducation a été faite un peu en mode pilote automatique, avec une maman débordée qui s’occupait de 4 enfants à la maison et un papa très souvent absent.
Il me manquait quelque chose, que j’ai trouvé dans le dessin et les mondes imaginaires.
Je dessinais sur des feuilles A4, je faisais des rayures horizontales et ça donnait un immeuble avec l’étage des bonbons, l’étage des jeux… puis je collais les feuilles les unes au-dessus des autres, le tout donnait une espèce de grand immeuble merveilleux, le meilleur des mondes en quelque sorte !
J’avais fait quelques tentatives pour écrire et ma mère m’avait dit “tu n’écris pas bien, il ne faut pas écrire, il faut dessiner”... et bêtement, je l’ai écoutée. Pendant longtemps, je n’envisageais pas que je pouvais écrire.
Comment tout ça évolue quand tu grandis ?
Au moment des études supérieures, j’ai fait une école d’art, les Arts décos de Strasbourg, puis j'ai essayé de travailler en galerie d’art mais ça ne m’a pas plu. Alors j’ai travaillé dans la mode, comme vendeuse puis aux ressources humaines. Au bout de 3 ans j’en ai eu marre et j’ai négocié une rupture conventionnelle
Je cherchais un “vrai boulot”. Je n’avais pas envie de devenir illustratrice, je pensais que c’était un métier crève-la-dalle et je ne voulais pas crever la dalle.
Mais, en parallèle, j’ai commencé un blog de BD. Cela faisait plus de 5 ans que je n’avais pas dessiné : entre mes 21 et mes 27 ans, j’avais tout arrêté. Donc je dessinais avec mes pieds ! Mais j’ai tenu bon : je publiais de petites planches sur ma vie.
A partir de ce blog, j’ai écrit un livre, Le meilleur des mondes possibles (ed. Alter Comics, 2013), sur ma vie, mes expériences de vendeuse, mes galères… On en a fait un premier bouquin avec une maison d’édition qui m’a mal payée mais qui l’a fait.
Ensuite, ce livre a été repéré par colette.
(NDL : La boutique de luxe colette était un magasin-concept de référence en matière de mode et de design, de son ouverture en 1997, dans le 1er arrondissement de Paris, à sa fermeture en 2017).
A partir de là, les choses se sont enchaînées assez vite : j’ai produit une collection de T-shirt et accessoires, on m’a proposé d’autres projets de BD…
J’avais un cahier où j’écrivais mes rêves les plus forts, j’avais la sensation que si je l’écrivais, ça allait peut-être se réaliser. C’était vraiment l’impression que j’ai eue à ce moment-là : “tous mes rêves peuvent se réaliser”.
Par exemple, je me suis dit que je voulais travailler avec Karl Lagerfeld. C'était un personnage qui avait des phrases très piquantes mais aussi très justes, il avait l’air à la fois austère et joueur. A cette époque de ma vie, c'était une figure qui m'intéressait.
J’ai donc écrit une lettre manuscrite à Karl Lagerfeld avec des photos de la vitrine chez colette, des dessins… et là aussi ça a marché, la maison Lagerfeld m’a contactée.
A partir de là et sans que je l’aie prévu, illustratrice c’est devenu mon métier. J’arrive à en vivre, même si c’est très inégal. Ce que je touche dépend des années : il y a des années où je bosse pour des gros groupes et je gagne bien ma vie, d’autres années où c’est plus compliqué.
Avec le livre Homme Sweet Homme (ed. Eyrolles, 2021) j’ai effectué un virage féministe. Mon éveil féministe s’est fait à partir du moment où je me suis séparée du père de mon enfant.
Je suis féministe et écologiste, je suis aussi devenue végétarienne… Mon travail est toujours humoristique mais il est aussi beaucoup plus engagé. C’est aussi pour cela que je ne fais plus d’illustration pour le milieu de la mode, ça n’avait plus de sens pour moi.
Comment s’articule le travail d’écriture avec ton activité d’illustratrice ?
Quand j’ai sorti mon premier livre, Le meilleur des mondes possibles, je me présentais comme une illustratrice. Quand les gens autour de moi me disaient que j’étais autrice, ma réaction, c’était à peu près : “NON !’ (rires)
Aujourd’hui, j’en suis à mon dixième livre donc je pense que je peux dire que suis autrice…
Mais j’ai longtemps cru ma mère, j’ai longtemps cru que je ne savais pas écrire – alors que bien sûr, sa remarque parle avant tout d’elle-même, et elle m’a sans doute dit ça parce qu’elle a toujours voulu écrire sans y parvenir.
Ça a vraiment été très difficile d’assumer l'écriture. D'ailleurs, quand j’ai voulu faire un livre jeunesse, j’ai d’abord pensé à l’écrire avec un ami, Raphael Cioffi. Il m’a très gentiment dit que j’étais capable de m’en sortir toute seule. Alors je me suis mise à la tâche.
Et maintenant, c’est de l’ordre de l’évidence !
En revanche, j’ai toujours écrit pour moi, ça me fait du bien.
Depuis quelque temps, le soir, je prends des feuilles de brouillon et j’écris tout ce qui me passe dans la tête. Je vide tout ce que j’ai dans la tête et une fois que je me sens bien physiquement, je jette tout par terre et je me couche. Le lendemain, je déchire tout ça en mille petits morceaux et je jette.
Ça me permet d’avoir un moment avec moi, de me rassurer, de vider mon sac. C’est hyper thérapeutique. Si je ne le fais pas, je le sens physiquement !
C’est encore plus nécessaire depuis que j’ai arrêté de boire de l’alcool, il y a 10 mois.
Je n’avais plus ce verre pour me calmer et me réchauffer, ce petit verre du soir que je prenais tous les soirs depuis vingt-cinq ans. C’est ma sœur qui m’a dit que je devais trouver une autre façon de me faire du bien, et c’est ce qui marche pour l’instant.
J’entends que ça a été compliqué de te dire autrice, et pourtant tu l’as bel et bien fait !
Alors, pourquoi as-tu décidé d’écrire des livres, et spécifiquement des livres pour enfants ?
Un livre adulte, on le lit et c’est fini. En général, on le lit une seule fois. Et on ne retient pas tout, loin de là.
Les livres jeunesse, tu les relis entre 20 à 50 fois à ton enfant. Les messages qui ont du sens et qui sont importants, tu les retiens. Il y a des choses qui s’impriment
Ce que j’adore avec les livres jeunesse, c’est que les enfants sont des éponges et absorbent tout ce qu’on dit. Ils assimilent tellement tout. Je dis des trucs à mon fils et il me les ressort six mois plus tard, je suis étonnée. L'éducation, ça me paraît primordial, tu en vois le pouvoir quand tu as un enfant. Ça peut faire une différence.
Du coup, c’est hyper important les contenus que l’on propose aux enfants.
C’est hyper important de dire aux petits garçons que la bagarre c’est pas spécialement intéressant. C’est hyper important de dire aux petites filles, si un jour quelqu’un ne t’aime plus, ouvre tes yeux et tes oreilles et tu trouveras de l’amour en toi et tout autour de toi.
Pour moi, il s’agit de leur donner des outils pour se sentir bien, presque des armes, pour savoir vivre, pour se confronter à la difficulté de la vie.
Mes parents étaient un peu débordés avec leurs quatre enfants et j’ai dû trouver des outils pour moi-même. Écrire des livres jeunesse, c’est ma façon d’offrir ce que je sais, les outils que je me suis créés, à des enfants.
Et bien sûr, j’offre aussi cet outil aux parents qui, peut-être, n’y avaient pas pensé eux-mêmes.