Je n’écris pas beaucoup, en ce moment. J’ai très peu d’espace mental pour ça.
Cela vient en grande partie du fait que je suis fort occupée à finaliser les préparatifs de mon mariage.
La cérémonie civile a eu lieu en septembre, en tout petit comité, et une fête réunissant nos familles et quelques amis proches se tiendra en octobre.
Alors même que je m’étais promis de rester calme voire détachée et que j’avais résolu de ne pas me soucier des détails pratiques, je me retrouve à mettre beaucoup trop d’enjeux émotionnels dans des trucs aussi ineptes que le style des fleurs au centre des tables. (Jardin romantique, ou champêtre bohème ? Allez-y, jugez-moi).
C’est que la préparation d’un mariage est un drôle de marathon.
Sur le plan administratif, pour quelqu’un comme moi qui déteste “les papiers” (cette catégorie englobant à peu près tout document écrit qui n’est pas un livre), se marier est un cauchemar.
Surtout lorsqu’on choisit d’épouser quelqu’un d’une autre nationalité que la sienne, et que l’on réside toutes deux dans un troisième pays. Même au sein de l’Union européenne et en ayant la chance de ne pas subir de racisme institutionnel ni de racisme tout court, ça reste un énorme bazar, et on a dû pas mal ruser pour finir par obtenir les documents que demandait la France pour accepter de nous marier.
J’ai aussi découvert qu’il fallait nécessairement passer devant un notaire, et débourser au passage quelques centaines d’euros, quand on refuse la communauté de biens, c’est-à-dire lorsqu’on préfère continuer de gérer notre patrimoine comme deux adultes indépendantes - un choix pas spécialement décoiffant en 2022, il me semble. C’est étrange : vu que le régime de la séparation de biens est très encadré par la loi et la jurisprudence, on s’imaginait qu’il suffirait de cocher une case quelque part, sur un des deux mille formulaires qu’on a dû remplir… mais non. Si on refuse de tout mettre en commun, il faut faire réaliser un contrat de mariage, soit une procédure coûteuse en argent, en temps et en bonnes ondes (si vous vous dites qu’il suffit de prendre rendez-vous avec un·e notaire compétent, c’est que vous n’avez jamais eu affaire à un·e notaire).
L’Etat n’aime pas que l’on déroge à sa définition du couple, et nous le fait payer. Littéralement.
D’un point de vue émotionnel, l’affaire n’est pas de tout repos non plus.
Ces quelques mois d’intenses tractations logistiques m’auront appris deux-trois trucs utiles sur mon couple et sur moi-même. Organiser un événement de cette ampleur nous met l’une et l’autre face à nos conceptions respectives de la famille et de l'amitié - nos idées sur ces sujets n'étant pas toujours totalement alignées - et nous confronte à quelques insécurités.
Et bien sûr, flottent au-dessus de tout ça des interrogations d’ordre politique.
Disons-le clairement : dans nos milieux queers, le mariage n’a pas super bonne presse.
Tout le monde est plutôt chou, nous félicite et se réjouit pour nous mais je sens bien, tapie en embuscade, la question qui fâche : “politiquement, le mariage, c’est quand même la pire institution, non ?”
Alors, oui, les homosexuel·les se font rattraper par une forme de normalisation.
Oui, j’y participe en me mariant.
Ça, c'est sûr.
Je ne vais pas prétendre que tout le monde peut réinventer le mariage à sa guise et que notre mariage gouin est un pied-de-nez à l’institution, ou quoi que ce soit du même genre. ça me paraît hypocrite.
Je ne crois pas du tout à l'entrisme - et je dis ça après avoir beaucoup essayé.
Quand on rentre dans une institution, on en subit la violence symbolique bien plus qu’on ne la fait évoluer. Après tout, le principe d’une norme sociale, c’est qu’elle dépasse le cadre des individus.
Il ne m’appartient pas, il ne nous appartient pas à B. et moi de décider exactement ce que sera notre mariage, tout simplement parce qu’il y a un truc qui s’appelle la société. En se mariant, on traîne forcément une part de cet héritage patriarcal lourdingue et toxique.
On n’est pas obligées de tout prendre, mais on ne peut pas non plus prétendre qu’il serait possible de tout rejeter - et sinon, d’ailleurs, pourquoi se marier ?
Mais oui c’est vrai ça, pourquoi se marier ? pourquoi s’infliger ce dédale administratif et ces absurdes questions logistiques, si ce n’est pas par cécité politique ou adhésion pure et dure aux idéaux patriarcaux ?
D’abord : parce que ça nous fait immensément plaisir d’organiser une fête autour de notre amour.
Prendre un temps pour se dire que l’on s’aime, que l’on est en vie, et qu’on compte bien en profiter aussi longtemps que l’univers nous fera ce double cadeau.
Le mariage me fournit un prétexte socialement acceptable pour quelques heures de discours à l’eau de rose de la part de mes proches et de déclarations enflammées envers la personne que j’aime. Pourquoi me priver ?
Je ne suis pas naïve, je sais bien d’où ça vient. Je ne peux pas parler pour la personne avec qui je me marie mais, en ce qui me concerne, je suis consciente que je veux me marier aussi parce que j’ai été socialisée dans un contexte bourgeois. Certes, quand j’étais hétéra, je refusais l’idée d’épouser un homme : j’avais intuitivement flairé le piège. Mais d’une façon ou d’une autre, à travers les mariages de mes proches ou ceux de mes ami·es, le mariage a toujours fait partie de mes projections.
Et alors ?
Je l’accepte. Je l’assume.
Dès lors que ma joie ne retire rien à personne, je ne vais pas me priver par idéologie d’un truc qui me fait profondément plaisir.
Contrairement à ce que pensent une partie de mes détracteurices, je ne calque pas mes choix intimes sur le manifeste de la parfaite lesbienne de gauche ou de la féministe accomplie. La vie est courte : quand quelque chose me fait vibrer et n'écrase personne, je ne compte pas m’abstenir.
Ensuite : parce que le mariage nous aidera à nous défendre aux yeux de la loi.
Certain·es de nos amies se sont d’ailleurs marié·es pour des questions de visa. Ce n’est pas notre cas, mais, pour faire famille, être mariées nous facilitera la vie. Puisque la France ne reconnaît pas deux mères à la naissance hors du cadre fort étroit de la PMA, l’une d’entre nous deux risque d’avoir besoin d’adopter son propre enfant (oui, vous avez bien lu). Le mariage facilite cette procédure intrusive.
Dès lors qu’on est deux gouines, et que le code de la famille n’est pas exactement prévu pour protéger des gens à notre image, ça nous paraît une bonne idée de choper les boucliers qu’on peut… même quand ils sont un tantinet rouillés.
Enfin : parce que ce n’est pas que de la soumission, pas que de la normalisation. C’est aussi une transgression.
Par exemple, ma famille étendue est conviée, y compris les oncles et les tantes que je ne connais pas très bien et que je vois une fois tous les deux ans (à l'occasion d'une fête de famille, justement).
On peut le voir comme une façon de souscrire au modèle traditionnel du mariage.
Mais on peut aussi le lire comme un affichage clair et net de mon lesbianisme à des personnes qui ne s’attendaient pas à ce que j'emprunte cette voie-là. Montrer un couple lesbien heureux et épanoui à des gens qui n’en ont peut-être jamais vu d’autre, c’est (encore) politique.
D’ailleurs, sans mon mariage, certains membres de ma famille ne sauraient sans doute toujours pas que je suis lesbienne. Mon père, par exemple, ne parvenait pas à se résoudre à le dire à son frère aîné, au motif que ça risquait de le blesser (??). Maintenant, plus personne ne peut l’ignorer.
Et je ne veux pas parler ici que des personnes plus âgées : je me marie aussi pour que mes neveux et nièces, qui sont encore petit·es, grandissent en sachant bien que l’hétérosexualité n’est pas le seul chemin, et que les voies de traverse méritent elles aussi d'être célébrées. Même aujourd’hui, pour des enfants grandissant à Versailles et scolarisés dans un établissement catholique, cette idée est très loin d’aller de soi.
Au total, la décision d’épouser celle avec qui je vis tient à la fois du calcul rationnel, de la gentille provocation politique, d’accomplissement de mon destin sociologique et d’immense passion amoureuse.
Un drôle de cocktail donc, épicé de quelques contradictions.
En général, dans ma vie, quand je prends des décisions que je ne suis pas entièrement capable de justifier rationnellement et dont je sens, malgré tout, la justesse au plus profond, c’est que j’avance plutôt dans la bonne direction.
"si vous vous dites qu’il suffit de prendre rendez-vous avec un·e notaire compétent, c’est que vous n’avez jamais eu affaire à un·e notaire" : je songe à faire imprimer et encadrer cette citation aha
Merci pour ce texte et longue joie a vous !!