Ces derniers temps, je réfléchis plus qu’à l’ordinaire avant de publier un nouvel article.
Je me relis 17 fois. Je scrute le titre et le thème.
Sur mon épaule, une Jiminy Crickette étouffante, qui a les traits de La-Bonne-Militante et me harasse de questions :
“Franchement à quoi ça sert d’écrire ça ? t’es sûre que c’est le bon angle ?
“Avec tout ce qui se passe dans le monde, tu décides de publier ce truc-là, sérieusement ?”
Elle s’exprime sur un ton assuré, légèrement cassant, teinté de l’arrogance de celleux qui s’octroient aisément le droit de juger autrui — même si, bien sûr, elle s’en défend :
“Nan nan mais vas-y si tu es sûre de toi, c’est toi qui vois…”
La petite voix est là au moment même où je vous écris ces lignes.
“Tes états d’âme d’autrice, on pourrait s’en passer non ? Tu fais comme tu veux, je te dis juste ça parce que, bon, les gens vont trouver ça chiant.”
Je la connais depuis longtemps, cette petite voix.
On pourrait croire qu’elle est méchante, humiliante et qu’il faudrait chercher à s’en débarrasser, mais la réalité est un peu plus compliquée.
La petite voix m’énerve, mais elle m’aide aussi à ne pas ressasser les mêmes thèmes faciles à l’infini, à penser contre moi-même, à faire de la place aux critiques qui voient juste et font mal.
J’ai choisi d’écrire des textes politiques, d’avoir cette ambition.
Un discours politique qui ne doute pas, c’est un sermon.
J’ai décidé d’être autrice et d’être féministe.
Alors, l’inconfort fait partie du voyage.
Je vous raconte ça aujourd’hui parce que je me suis longuement demandé comment parler ici de ce qui m’inquiète beaucoup, dans l’actualité politique, et que je ne vois pas tellement relayé, ou alors de façon très partielle.
Je parle de cette quadruple séquence mortifère :
L’annonce par le ministre de l’Intérieur et des Cultes, Bruno Retailleau, de l’engagement d’une procédure de dissolution de Jeune Garde et d’Urgence Palestine — soit, respectivement, l’une des principales organisations antifascistes et l’une des principales organisations de soutien à la Palestine en France,
Le meurtre d’Aboubakar Cissé, un homme noir assassiné alors qu’il se trouvait dans une mosquée,
Le féminicide d’une jeune fille de 15 ans, dans son lycée, par un jeune homme dont elle avait repoussé les avances et qui nourrissait une fascination pour Hitler,
L’annonce du même ministre de l’Intérieur et des Cultes, Bruno Retailleau, de sa volonté d’interdire aux femmes musulmanes portant un foulard d’aller à l’Université et de pratiquer le sport en public.
En même temps, je savais que je ne voulais pas juste vous balancer ça sans autre forme de procès.
Bien sûr, c’est important de ne pas détourner le regard.
Bien sûr, il faut en parler.
Faites tourner l’information. Manifestez votre désaccord.
Signez la pétition contre la dissolution d’Urgence Palestine.
Mais voir la réalité en face, ça fait aussi très peur.
Et le fascisme se nourrit de ça : notre peur.
La question que je me pose en ce moment, que la petite voix cassante m’oblige à me poser, c’est :
Comment on fait pour articuler la vérité et l’espoir ?
Il y a quelques semaines, je vous écrivais : “je veux contribuer à allumer des petites flammes d’espoir et de résistance”.
Alors je me suis dit que j’allais vous parler de ce qui, moi, me fait espérer.
De temps en temps, vous partager une joie simple, un moment collectif plein d'élan.
Pour cette première fois, j’ai envie de vous emmener dans un mini-voyage spatio-temporel.
Bouclez vos ceintures, on part pour le 1er mai 2025, à Berlin.
Quand on est arrivées sur place avec Molly, ça sentait la bière, la transpiration et la crème solaire.
Le soleil chauffait mes épaules et me poussait à boire mon Soli-cola à grandes lampées. Plein de gens s’étaient réfugiés à l’ombre des arbres d’un petit square.
D’énormes fourgons de flics partout, pour protéger les villas et les manoirs.
Oui, parce que le concept de cette manif, c’est d’aller protester dans les beaux quartiers.
D’ailleurs, Fabi nous a raconté que l’année précédente, la police avait fait du zèle et carrément empêché les manifestantes de s’abriter du soleil dans le parc, ne leur laissant que le bitume chauffé à blanc. Cette année, les orgas avaient attaqué en justice et gagné, pour nous toustes, le droit de s’asseoir à l’ombre des arbres bourgeois.
C’était donc nos fesses joyeusement posées dans une herbe moelleuse que nous avons pu observer les alentours.
Le thème était : envoyer les milliardaires dans l’espace. Brillante idée, vous ne trouvez pas ?
Il y avait des stickers, PLEIN de stickers (je vous ai déjà parlé de ma passion pour les autocollants ?), un ours polaire en colère contre les milliardaires, l’éternel groupe de types assis dans un coin avec des joints. Il y avait aussi des combinaisons à paillettes et une peluche géante d’ET sur un camion, des discours engagés et une fanfare entièrement vêtue de rose néon.
Une ambiance de fête foraine, sous le regard crispé des nombreux flics et des riverains qui passaient en fronçant les sourcils devant ce joyeux bordel.
Fabi a fait un super discours contre un projet totalement délirant d’autoroute — qui coûte rien moins que 1 million d’euros par mètre de route, à l’heure où tous les budgets sont coupés — Molly l’a filmé avec fierté et on a beaucoup rigolé.
C’était évident que plein de gens avaient mis du temps et de l’amour pour tout préparer.
Et puis, sur le retour, on a roulé sur l’autoroute. En vélo.
Vous avez bien lu : l’autoroute. Le trafic était coupé pour les voitures et des dizaines de milliers de vélo ont pris l’asphalte.
C’était magique.
Je veux dire, j’avais extrêmement mal aux fesses sur mon Nextbike poussif (le Vélib local), mais c’était un mal de fesses magique.
La journée m’a gonflé le cœur de joie et d’espoir.
Ca m’a rappelé que je n’étais pas seule, même si le fascisme aime bien me faire croire le contraire.
Ca peut paraître idiot, mais rouler en vélo sur une autoroute étonnamment silencieuse, entourée d’amis chers, ça m’a redonné l’impression qu’on pouvait faire des choses, que l’état du monde n’était pas figé.
J’ai pris plein de photos le jour même et enregistré quelques audios, pour que vous puissiez vous plonger dans l’ambiance.
Je vous les mets ici, pas spécialement dans l’ordre.
Faites défiler, écoutez un extrait si ça vous chante.





Gorgez-vous, à votre tour, de toute cette énergie, de tout cet humour, de toute cette créativité, de toute cette joie.



Et si vous avez récemment vécu un truc chouette, vous pouvez le partager en commentaires.
On a toustes besoin de 2 ou 3 raisons d’espérer, en ce moment.
Oh, et avant de nous quitter : avez-vous pensé à signer la pétition contre la dissolution d’Urgence Palestine ?
P.-S. : si vous vous demandez pourquoi ce post est paru un mercredi, et pas le mardi comme d’hab — c’est parce que je suis en déplacement et très occupée.
Bon, perso, je serais complètement incapable de repérer un décalage d’un jour des infolettres que je lis, mais je sais que parmi vous se cachent des personnes très observatrices :)
A très vite.
Mes moments chouettes la semaine dernière : arriver avec les personnes de ma chorale féministe dans un bar, prendre la place qu’il nous faut avec beaucoup de joie, et dire « non » au gars qui a voulu s’incruster à notre table. Un non simple, ferme et cordial.
Avec cette même chorale : chanter à tue tête le 1er mai en levant le poing.
Et donc en effet je me suis sentie en lien et entourée.
Et puis aussi vendredi proposer un drag show dans un village du Gard (oui je vis dans le Gard, département où une expo féministe a été saccagée la semaine dernière et où a eu lieu le meurtre d’Aboubakar Cissé).
Remplir le théâtre : oui oui il y avait 120 personnes, dont une grande majorité de personnes de 65 ans et +
Donc pas du tout mon public habituel. Et les faire kiffer !!! Recevoir plein de compliments de la part de mamies tellement mignonnes et repartir le cœur rempli d’amour, de liens et d’espoir.
« Cette année, les orgas avaient attaqué en justice et gagné, pour nous toustes, le droit de s’asseoir à l’ombre des arbres bourgeois. » 😍❤️🔥