Ce post inaugure une série consacrée à des idées très concrètes que je défends.
L’objectif n’est pas nécessairement de vous convaincre que j’ai raison, mais de contribuer à créer une discussion.
Ok, je sais que les mots “taxe” et “héritage” ne font pas rêver et que tu as envie d’arrêter de lire mais c’est une question essentielle et il y a une photo de chat à la fin !
Quand je dis “patrimoine”, concrètement je parle du capital détenu par des personnes privées (le mot officiel pour dire : des gens). Ce capital peut prendre toutes sortes de formes : il peut s’agir d’une maison de famille, d’une entreprise (directement ou par des actions), d’argent sur un compte en banque, d'œuvres d’art…
Le capital se distingue du revenu.
Le revenu, c’est un flux que tu perçois - comme un salaire, ou un paiement pour une prestation.
Le capital, c’est un stock que tu amasses.
Comment se retrouve-t-on avec tout ce capital sur les bras ?
C’est simple : soit tu l’accumules toi-même, grâce à ton revenu, soit quelqu’un d’autre te le file. Par exemple, ton livret A peut être nourri par ton épargne, ou bien par un don de ta grand-mère.
Je parle de ta grand-mère à dessein : la liste des gens qui ont envie de te filer de l’argent en échange de rien étant assez limitée, les transmissions de patrimoine entre personnes privées ont presque toujours lieu au sein de la famille.
La forme la plus courante de transmission du capital, c’est l’héritage.
On peut trouver ça chouette que les familles transmettent à leurs rejetons leur richesse patiemment accumulée, et beaucoup de gens y attachent de l’importance symbolique, mais le mécanisme actuel de l’héritage pose de gros soucis : il creuse encore davantage les inégalités.
C’est bien documenté par la recherche économétrique : aujourd’hui en France, les inégalités proviennent bien plus des différences de patrimoine que des différences de revenus.
Par exemple, si tu touches le même salaire que ton pote mais qu’il bénéficie d’un héritage de ses parents et pas toi, il y a de grandes chances que vous n’ayez pas du tout les mêmes trajectoires. Il va peut-être pouvoir acheter un appartement, ce qui le mettra à l’abri pendant une période de chômage, tandis que tu n’auras pas cette possibilité. Ou alors tu devras t’endetter davantage, ce qui va te coûter plus cher.
C’est le double effet kiss cool du patrimoine hérité : non seulement ta mise de départ est moins élevée, mais en plus tu dois réaliser des dépenses supplémentaires (loyers pour se loger, intérêts sur le prêt étudiant…).
Normalement, les impôts servent justement à corriger ce genre d’effet contre-productif : on pourrait beaucoup taxer les héritages les plus élevés, ce qui 1) réduirait l’écart de capital hérité entre les personnes les plus modestes et celles les plus riches 2) permettrait à l’Etat de récupérer des sous, ce qui est assez crucial pour pouvoir ensuite financer des allocs aux personnes qui en ont besoin.
Et pourtant, dans presque tous les pays du monde, la taxation du capital est super faible par rapport à celle des revenus. Ce qui veut dire, concrètement, qu’on prélève beaucoup plus d’argent sur 1 euro de salaire d’un.e secrétaire que sur 1 euro dormant bien au chaud sur le compte en banque de Bolloré.
La France n’échappe pas à la règle : les successions en ligne directe (de parents vers leurs enfants, en gros) sont très peu taxées.
Points bonus de l’injustice : si tu as fait famille dans des modalités non hétéronormatives - parce que tu es queer, par exemple - tu peux aller te faire foutre ! Quand les transmissions ne sont pas en ligne directe, les prélèvements augmentent drastiquement.
Mais pourquoi on ne fait rien, tu me diras ?
Il y a quelques (maigres) arguments de droite en défaveur de la taxation du patrimoine, notamment l’idée que taxer le patrimoine c’est imposer deux fois le même revenu, mais ça tient très très moyennement (d’autres impôts très courants, comme la TVA, comportent aussi une part de double taxation).
Une raison plus solide pour expliquer l’immobilisme sur ce sujet, c’est qu’évidemment, les plus riches n’ont vraiment pas intérêt à ce que ce scandale cesse.
Mais de façon plus surprenante, quand des sondages d’opinion sont faits on se rend compte que même des gens pas spécialement riches sont très opposés à la taxation de l’héritage. Et je dois dire que ça me laisse très perplexe.
Il est urgent qu’on se saisisse collectivement de ce sujet. C’est peut-être pas super sexy de prime abord, mais ça ferait une énorme différence.
En résumé, taxer fortement les héritages, TOUS les héritages, c’est nécessaire pour
réduire à leur source une grande partie des inégalités entre les personnes riches et les personnes pauvres
financer des politiques publiques visant l’égalité (revenu universel, tout ça tout ça)
cesser de discriminer les familles non hétéronormatives par rapport aux autres
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L'argument que j'entends souvent des gens non riches opposés à la taxation : "je vais pas laisser l'État taxer la thune que j'ai durement gagné". Donc déjà ya cette notion "touche pas à ce qui m'appartient". Mais d'ailleurs pourquoi cet attachement ? Surement en raison du système économique actuel qui impose les revenus des plus modestes/précaires et fournissent des salaires trop bas... C'est paradoxal quand on y réfléchit un peu. Cependant je pense que les raisons réelles sont d'abord un défaut d'analyse critique : les non riches ne parviennent pas à se représenter cette distinction entre les fortunés, les bourgeois, les modestes et les précaires, les empêchant de comprendre cette notion d'inégalité où il est absurde de naître avec un capital tellement énorme que l'on a pas besoin de travailler, on a juste à investir le patrimoine que l'on hérite pour s'enrichir. Deuxième raison selon moi, les non riches s'imaginent faire partie de ces riches qu'on veut surtaxer, s'imaginent faire partie des grands perdants si jamais on taxe les patrimoines car individuellement ils se disent faire parties des rares personnes à avoir accumuler du patrimoine. Dernière raison, pour les plus pragmatiques, surement le manque de confiance envers les volontés et capacités du gouvernement à redistribuer équitablement les richesses de manière solidaire si le patrimoine etait fortement taxer. Ce n'est que mon avis que j'ai voulu échanger en lisant ton super article. Merci pour tes réflexions. Pareil pour tes autres articles.