“Tu dirais que la psychothérapie a changé quoi, pour toi ?”
J’ai récemment passé quelques jours avec des copain·es et, comme les trentenaires que nous sommes, nous avons bu moult cafés en parlant de nos vies. J’ai tout à fait conscience que l’exercice aurait pu sembler vain ou verbeux à une observatrice extérieure mais, à mes yeux, comprendre ce que traversent les gens que j’aime, tenter de discerner là où nos expériences se répondent et là où elles s’entrechoquent…
C’est le sel de la vie.
Alors quand on m’a posé cette question, dans un salon marseillais, j’ai reposé ma tasse et réfléchi avec soin.
Qu’est-ce qui fait que je vais mieux, aujourd’hui, et que même je vais bien ? Ai-je trouvé la paix intérieure ? Construit des relations apaisées, sans conflit ? Est-ce la capacité à poser mes limites avec le mélange parfait de bienveillance et de fermeté ? Une intelligence émotionnelle hors du commun ?
Hélas… Non.
La réponse qui s’est imposée est à la fois plus simple et plus profonde :
“en fait, maintenant, je m’aime bien”.
Voilà. C’est tout.
Je ne m’adore pas, je ne me trouve pas incroyablement géniale et merveilleuse. La vie continue d’être tour à tour enthousiasmante, décevante et parfois juste méga chiante.
Mais : je m’aime bien.
C’est banal… et ça ne l’est pas tant que ça : pendant longtemps, penser un truc pareil m’aurait fait frissonner de dégoût.
Et l’affirmer en public ?!! Même pas en rêve.
J’ai eu très peur de m’autoriser cet amour, de me laisser m’aimer moi-même, parce que je pensais que ça équivalait avec de l’autosatisfaction égotique, mon repoussoir absolu – je suis allergique aux gens autosatisfaits, tellement content·es d’elleux-mêmes que le reste du monde disparaît, tellement embourbé·es dans leur idée d’elleux-mêmes qu’iels en oublient de mener une vie authentique, c’est-à-dire une vie incompatible avec le spectacle de la perfection.
On trouve ces gens dans tous les milieux, iels peuvent avoir toutes sortes de visages et d’opinions politiques, mais iels se ressemblent dans leur absolue conviction de faire “ce qu’il faut”, de suivre exactement le bon mode d’emploi…
Alors qu’il ne faut rien du tout, qu’il n’y a pas de mode d’emploi, et que c’est le défi moral d’une vie humaine que de se frayer un chemin en assumant qu’on y va à tâtons. Comme tout le monde. Et qu’on risque de se planter. Comme tout le monde.
Mon dégoût éthique était renforcé par une peur sociale.
On m’a beaucoup dit que j’étais arrogante, on m’a bien fait comprendre que j’avais tendance à prendre trop de place, à parler trop fort et à penser avec trop d’assurance. J’avais peur que de m’aimer soit une autre forme de suffisance. Je croyais confusément que me tenir en basse estime était l’une des conditions permettant que les autres m’acceptent et m’apprécient.
Avec beaucoup de temps (et l’aide d’un très bon psychothérapeute), j’ai finalement compris que m’aimer n’était pas de l’autosatisfaction, ni de l’arrogance.
Au contraire, je crois qu’on peut assumer ses erreurs plus facilement, plus sincèrement, quand on s’aime. Je crois que l’amour de soi facilite l’humilité, et que les gens autosatisfaits ou agressifs doivent, en réalité, manquer sérieusement d’amour authentique pour avoir besoin de se rassurer avec l’exhibition permanente d’un ego hypertrophié.
Alors, tout ce que j’ai envie de vous dire en cette rentrée, c’est ça :
Vous aussi, vous êtes quelqu’un de bien.
Je répète : vous êtes quelqu’un de bien.
Je sais qu’en lisant ça, pour beaucoup d’entre vous, votre esprit va résister et faire la liste de tous vos défauts, de tous vos manquements, de toutes vos lâchetés, mais je vous demande d’essayer de garder l’idée en tête, de tenter de voir en quoi elle pourrait être vraie. Parce qu’elle l’est.
Vous êtes quelqu’un de bien, vraiment.
Vous n’êtes pas parfait·e, c’est sûr.
Vous pouvez faire mieux, vous pouvez grandir, vous pouvez apprendre. Vous vous montrez sûrement blessant·e ou égoïste ou injuste de temps en temps, vous avez vos angles morts et vos renoncements – et vous n’êtes pas fait·e pour vous entendre avec tout le monde, tout le temps. Peut-être même que, si on se rencontrait, vous et moi, on se détesterait.
Bref, vous êtes un être humain.
Mais ça ne change rien.
Vous êtes quelqu’un de bien.
Et plus vous vous en rendrez compte, moins vous aurez besoin d’ériger des figures à haïr pour vous rassurer sur votre propre valeur.
Alors voilà, j’ai conscience que c’est un texte un peu bizarre, qui peut vous paraître nunuche – et ce n’est pas du tout ce que j’avais prévu de publier pour la rentrée ! – mais ça me semble tellement important.
Pas seulement d’un point de vue individuel : s’aimer, c’est aussi un geste qui peut avoir une portée politique.
Dans nos milieux de gauche, queers, parfois j’ai l’impression qu’on essaie de faire passer des messages politiques sur la base de la honte, de la culpabilité. “Checke tes privilèges” se transforme en “je te déteste parce que je t’envie, parce que tu m’as blessé·e, et je t’invite à te détester aussi”.
Il y a beaucoup de gens qui tombent dans le panneau, et qui se disent que plus iels se détestent, plus iels sont déconstruit·es.
Il y a aussi plein de gens qui pourraient sympathiser avec nos idées et que ces messages venimeux éloignent de notre camp, parce qu’iels ont l’impression qu’avec le menu “justice sociale”, iels vont être obligé·es de prendre le supplément “haine de soi”, et que ça les tente modérément.
Je crois que notre envie de changer peut prendre racine dans d’autres affects que ceux-là.
Je crois qu’on peut avoir envie de changer le monde; et de se changer soi, non pas parce qu’on se perçoit / qu’on perçoit l’autre comme une connasse blanche petit-bourgeoise (ou autre…), bouffie de privilèges, qui doit absolument “se déconstruire” sous peine de perdre toute valeur humaine, mais parce qu’on se sent et qu’on se sait une personne complète, complexe, qui fait de son mieux – et qu’on apprend à reconnaître cette même humanité chez les autres, toustes les autres.
Y compris celleux qui ne nous ressemblent pas.
Y compris celleux que l’on ne comprend pas.
Ça ne veut pas dire que tout se vaut, qu’on arrête de lutter pour nos idées. Pas du tout ! Au contraire. Il y a des courants politiques qui luttent pour que l’humanité de toustes soit respectée, et d’autres qui prétendent que la dignité des un·es doit s’ériger en piétinant les autres.
Quand on s’aime, nos engagements politiques progressistes deviennent des cadeaux que l’on fait aux autres et que l’on se fait à soi-même, pas des tentatives semi-désespérées de racheter une vague faute morale en se prouvant anxieusement que l’on fait partie du “bon camp”.
Vous êtes quelqu’un de bien.
Bonne rentrée à vous.
P.-S. : je travaille dur en ce moment pour finaliser mon guide pratique sur l’écriture introspective, qui sortira très bientôt. Je suis très excitée et j’ai hâte de vous présenter le fruit de ces mois de boulot. Si c’est une pratique qui vous intrigue, je crois bien que ce guide peut vous plaire et vous aider !
P.-P.-S. : la bande-son de ce post, c’est cette merveilleuse chanson mélancolique et tellement juste.
J’aime bien ce post, ça me donne envie de partager un truc qui m’a aidé. Il y a l’idée en communication non-violence que communiquer en terme de bien et de mal a tendance à être assez peu clarifiant et nous mettre souvent sur la défensive.
Du coup j’ai décidé de renoncer à l’idée que j’étais une personne bien, en faveur du titre de « participante au drame humain ». En partie pour être capable de vivre les conflits avec plus de paix et ne pas ressentir l’obligation d’être « gentille » h24 (socialisation féminine = heures sup en travail émotionnel c’est éreintant). Et en partie pour mieux entendre et accepter que je participe à maintenir des conditions qui rendaient la vie d’autres personnes difficiles, même si c’est pas mon intention. Et que j’ai pas la capacité de sauver le monde toute seule avec ma baguette magique pour me repentir en dix secondes quand je me sens coupable. Les luttes de solidarité et d’amélioration du monde c’est plus une course d’endurance qu’un sprint et ca demande de négocier avec sa propre énergie, ses propres besoins, ses propres possibilités, surtout quand on vit de l’oppression soi même et qu’on négocie des « double binds » en permanence.
Personnellement ça m’a aidée à être plus nuancée, accepter de pas être parfaite et mieux accepter les autres quand ils ne sont pas parfaits. Me demander quelle histoire je vais tracer avec les personnages de ma vie plutôt que si je vais « réussir » ma vie et tout faire bien comme il faut.
Après, ça vaut pour moi et mon énergie d’Hermione perfectionniste, je pense que y a des gens pour lesquels déjà s’autoriser à se voir comme des personnes biens c’est ça leur révolution !