féministe = politiquement correct ?
faut-il renoncer à dire la vérité par peur de froisser les sensibilités ?
Sans doute que ça vous est déjà arrivé.
Vous débattez avec un copain à propos d’un film qu’il a adoré.
(Je sais pas pourquoi mais je visualise ce type avec les petites lunettes rondes à monture métallique que portent souvent les mecs de gauche intellos, vous voyez le genre ?)
Sauf que vous, ce film, vous l’avez trouvé misogyne au possible.
Vous le lui dites.
Et là, ça ne manque pas :
Il vous réplique que vous défendez le “politiquement correct”.
Un truc du genre : “tu reproches à ce récit d’être sexiste, mais dans la vraie vie, les choses sont ainsi. L’Art ne peut pas se plier à des injonctions idéologiques juste pour faire plaisir à des personnes fragiles qui refusent de voir le monde tel qu’il est.”
Bon, alors, ça va peut-être vous surprendre mais :
Je suis d’accord avec cet ami imaginaire aux petites lunettes rondes à monture métallique.
Enfin, je suis d’accord avec la deuxième phrase.
La littérature n’a pas à se plier aux egos des uns et des autres.
Et son rôle n’est pas de proposer des manifestes politiques plus ou moins habilement déguisés.
Si je veux écrire un essai politique, je peux le faire directement — et d’ailleurs je l’ai fait, avec Comment devenir lesbienne en 10 étapes.
Puis les romans à thèse sont juste méga chiants, les personnages manquent de crédibilité, tout est trop lisse, trop simple.
Je trouve que la fiction, pour être intéressante, doit contenir une part d’ambivalence, d’indécidable, d’ambiguïté. Soit à peu près l’opposé d’un bon tract militant.
Alors, est-ce que ça veut dire que je veux faire échapper la littérature à une grille de lecture féministe ?
L’Art apolitique ? On sépare l’homme de l’artiste, et compagnie ?
Euh, non.
Parce qu’il n’y a pas d’opposition entre mon féminisme et la volonté de parler du monde tel qu’il est.
Au contraire : mon féminisme prend sa source dans ma quête de vérité.
C’est parce que j’ai l’ambition que l’art dise le vrai (au lieu de flatter les egos) que les clichés sexistes m’exaspèrent.
Point important : mon problème avec les clichés sexistes, ce n’est pas qu’ils sont “méchants”.
En mode “ouh là là les vilains, vous me faites trop de peine avec vos méchantes vérités trop dures à entendre, je veux vivre dans un monde tout douillet et duveteux où rien ne m’égratigne”.
Mon problème, c’est qu’ils sont faux.
Complètement à côté de la plaque.
Un signe clair de paresse voire de malhonnêteté intellectuelle.
Leur seule utilité, c’est de ménager la sensibilité de celleux qui sont plus à l’aise avec des idées fausses mais familières qu’avec la vérité crue.
Le “politiquement correct”, idéologique et mensonger, ce sont précisément ces clichés sexistes.
Le “politiquement correct”, dans notre société, c’est de dire par exemple que :
les violeurs sont des monstres et pas des hommes comme les autres,
les mères savent naturellement s’occuper de leurs enfants d’une façon incomparable aux hommes,
les femmes se crêpent le chignon entre elles alors que les hommes nourrissent de saines camaraderies,
le couple hétéro est épanouissant pour les femmes et pas l’endroit où statistiquement elles sont le plus en danger,
la famille nucléaire est un lieu de sécurité pour les enfants et pas l’endroit où statistiquement iels sont le plus en danger.
Tout ça est au mieux extrêmement simpliste et au pire totalement faux, chiffres et études à l’appui.
Lutter contre ces stéréotypes genrés, c’est sortir du politiquement correct.
C’est prendre le risque de déplaire, de vexer, de choquer, qu’on me dise : “oh mais vous exagérez un peu quand même” alors que je ne fais que dire ce que je vis.
Ecrire en féministe, c’est m’autoriser à produire un art qui parle du réel, de mon réel à moi, sans fard et sans détour.
Ecrire en féministe, c’est donc me rendre vulnérable — ça fait écho à ce que je vous racontais tout récemment.
Voilà la raison pour laquelle j’évite les clichés sexistes.
Pas par sensibilité personnelle ou soumission à un corpus idéologique obscur.
Ecrire en féministe, pour moi, c’est dire la vérité.
Cet article fait partie d’une série sur le thème : “Ecrire en féministe”.
Je ne prétends avoir compris ce qu’est “l’écriture féministe™”, mais j’ai envie de vous dire comment je façonne, moi, mon écriture féministe.
C’est une série qui devrait intéresser les personnes qui écrivent, bien sûr, mais aussi toutes celles qui lisent des textes féministes (=vous, je vous connais !).
Le premier épisode : vous m’avez demandé de créer un atelier d’écriture “Ecrire en féministe”… pourquoi c’est non.
Voici le programme pour la suite :
7 clichés sexistes que je vois partout, y compris dans des œuvres labellisées “féministes”… et comment faire pour les éviter
L’intime est politique d’accord, mais comment j’évite d’être indigne ou indécente ? (ma réponse va sans doute vous surprendre hehe)
Pour écrire en féministe, peut-on écrire à propos de vécus qui ne sont pas les nôtres ?
Ecrire féministe = écrire à plusieurs (+ comment faire concrètement)
pour finir, je vous proposerai des recommandations qui nourrissent mon travail d’écriture dans une perspective féministe. Films, livres, podcasts… Il y aura de quoi faire.
D’habitude, je restreins l’accès de ce genre de série thématique aux personnes qui me soutiennent financièrement.
Exceptionnellement, tous les articles de la série seront offerts.
Pour que ce sujet circule le plus largement possible.
Un immense merci aux personnes qui, par leur soutien financier, rendent ce geste possible 💜
Si ces articles vont pouvoir être “gratuits” pour certain·es, c’est parce que vous avez choisi me rémunérer.
Gratitude et reconnaissance façon paillettes (biodégradables) sur vous.
Avant de vous laisser, une joyeuse annonce :
Les inscriptions au programme “S’affirmer grâce à l’écriture introspective” ouvrent ce jeudi. Vous recevrez donc quelques emails sur ce sujet. Les abonné·es premiums auront accès aux inscriptions en avant-première et à un tarif préférentiel, comme d’hab.
Guettez vos emails demain matin !
Article brillant, je voulais juste rajouter un rappel historique :
le mot "politiquement correct" ne veut absolument rien dire d'autre que "ce truc là que j'aime pas"
dans les années 90, les réacs US se sont emparés d'un mot qui avait un sens précis et une utilité mineure pour en faire un homme de paille avec une connotation négative massive, mais aucune signification, et qui justement parce qu'il n'avait plus aucune signification, pouvait être appliqué à n'importe quel truc qu'iel n'aime pas
Ca vous rappelle quelque-chose ? Oui, le politiquement correct c'est l'ancetre du wokisme!
J’ai découvert cette newsletter récemment et j’en suis extrêmement fan! Merci 🙏