Il faut qu’on parle.
C’est pas toi.
C’est pas moi.
C’est l’IA.
Alors je sais.
Vous vous dites peut-être :
“Nooooooon ! Je ne veux pas lire un truc de plus sur ce foutu sujet !”
Je comprends complètement la lassitude.
Sauf que : oui, l’IA on en entend beaucoup parler…
Mais mal.
On trouve facilement des articles qui se concentrent sur comment l’utiliser, comment l’optimiser, qui proposent 72 000 outils et gadgets liés à l’IA générative — sans aucune réflexion autre que “c’est rigolo hihi”.
Si vous êtes à gauche, vous avez dû voir passer aussi des prises de position critiques, qui détaillent son coût écologique et humain et qui affirment qu’il ne faut surtout pas y toucher.
En gros, on a 2 équipes, et leurs “bulles de filtre” associées :
celleux qui l’utilisent ;
celleux qui boycottent.
Le problème, c’est que nos discussions se concentrent sur un seul sujet :
Utiliser chatGPT, pour ou contre ?
Moi-même, je suis tombée dans le panneau.
Pour ma première série d’articles sur l’IA, il y a déjà plus d’un an, j’ai posé la question suivante : “Peut-on utiliser l’IA quand on est de gauche ?”
(Et j’ai répondu par l’affirmative. Ce qui a suscité un flot de messages mécontents m’expliquant à quel point j’étais un suppôt du grand capital.)
En fait, ce n’est pas la bonne façon d’aborder le sujet.
Vous utilisez chatGPT et consorts ? OK.
Vous ne l’utilisez pas ? OK.
On s’en fiche un peu.
Ca vous paraît peut-être étrange :
en principe, boycotter une entreprise privée, c’est un mode d’action extrêmement efficace.
C’est vrai que boycotter Carrefour ou Mcdo, ça marche super.
Parce que ces boites sont des entreprises dont le modèle d’affaires est B2C (l’entreprise s’adresse à un vaste nombre de personnes privées, genre vous, moi, votre voisin) et que leur valorisation boursière repose essentiellement sur les ventes.
(Je simplifie mais grosso modo c’est ça.)
Boycott organisé et de grande ampleur d’une entreprise existante :
→ des clientes existantes cessent de se fournir auprès de l’entreprise
→ diminution significative du chiffre d’affaires, au moins sur certaines branches de l’activité
→ baisse ou stagnation de la valorisation boursière
→ 🫨 PANIQUE 🫨
Avec les entreprises d’intelligence artificielle générative, la situation est différente.
Pour 3 raisons.
Déjà parce qu’on n’a pas affaire à un boycott organisé et de grande ampleur, plutôt à un refus individuel de l’ordre de : “moi, je ne mange pas de ce pain-là”.
Ensuite parce que ces entreprises sont dans une phase très particulière de leur croissance économique, où leur chiffre d’affaire actuel a moins d’importance que pour une entreprise en régime de croisière, genre Décathlon.
Pour l’instant, OpenAI et consorts ne sont pas du tout rentables, grossissent très vite, et crament du cash à une vitesse folle. Cet argent provient d’investissements bien plus que de leurs activités commerciales. La réalité, c’est que les revenus tirés de gens comme vous et moi ne constituent pas, pour l’instant, la majorité de leurs financements : ce n’est donc pas un levier hyper puissant pour leur mettre la pression.
(Alors bien sûr, le taux d’adoption par les personnes privées est surveillé par les investisseurs : je ne prétends pas qu’il n’y a aucun lien, mais disons que l’effet est plus indirect.)
Enfin, parce qu’en fait, vous utilisez déjà l’IA générative, que vous vous connectiez vous-même à l’interface ou non.
Les outils que vous utilisez sont bourrés d’intelligence artificielle : de la requête Google à votre application de messagerie, il y a de l’IA générative.
Les textes que vous lisez sont produits par des IA génératives : j’en vois passer PLEIN sur Substack et ils ne sont, hélas, pas toujours annoncés clairement. Dans un article aussi haletant qu’un roman policier, Isabelle Sorente se demande si un énorme best-seller ne pourrait pas avoir été écrit par une IA, sans que cela ne soit précisé. Et ça paraît probable. Si ce n’est pas ce livre précisément, ce sera un autre.
Dans certaines entreprises, l’usage de l’intelligence artificielle générative constitue déjà une règle, voire une injonction. Plusieurs personnes m’ont confié que leur hiérarchie espérait remplacer certains postes par le recours à l’IA générative et que des plans très concrets étaient préparés en ce sens.
Résumé : regarder ailleurs et maugréer que l’IA c’est pas cool, ça ne suffit pas.
On a besoin de :
bien comprendre les enjeux,
proposer des contre-discours
et s’organiser politiquement.
Et je pense que le contre-discours ne peut pas se limiter à : “je trouve ça nul et je pense que ça devrait pas exister et que personne ne devrait s’en servir”.
On peut commencer là, mais pas s’y arrêter.
Car ce cadrage place le sujet sur un terrain moral et individuel, en renvoyant chacun·e à sa responsabilité propre : il dépolitise la discussion.
(Il va de soi que le discours symétrique, “moi je trouve ça chouette et ça m’est utile”, ne suffit pas non plus.)
De fait, l’IA générative est là, des milliards de dollars sont investis pour la développer, tous les Etats riches vont s’en servir pour surveiller encore plus étroitement leurs citoyen·nes et leurs opposant·es, de nombreuses entreprises espèrent en profiter pour virer des gens, c’est une réalité politique à laquelle on doit se confronter.
Encore une fois, la question n’est pas celle de l’usage individuel.
Ce qu’on doit discuter, je crois, ce sont les futurs qui se dessinent pour nous toustes, collectivement.
Alors, j’entame une nouvelle série d'articles sur ce thème.
Est-ce que je vais vous assommer de “23 Astuces Imparables pour Gagner en Efficacité Grâce à ChatGPT” ?
Non, promis.
Au programme :
Qui est vraiment derrière l’IA ? Pourquoi cette technologie reçoit-elle autant d’investissements et fait-elle l’objet d’une telle attention médiatique ?
Que faire face aux personnes qui utilisent l’IA pour créer des images, au détriment des artistes ?
Comment savoir si ce que vous lisez a été écrit par chatGPT (à votre insu)
Confession intime : je vous raconte tout sur la façon dont j’utilise l’IA générative + une charte IA à laquelle je m’engage dans le cadre de cette infolettre
Face au raz-de-marée qu’on subit, que peut-on faire pour lutter activement et collectivement ?
Ce programme vous intrigue ou vous allèche ?
Je vous invite à prendre une souscription payante pour ne rien rater.
C’est plié en 5 minutes montre en main, ça vous donne accès à plein d’autres chouettes avantages et ça reconnait la valeur d’un travail engagé.
(Et si par malheur vous rencontrez une difficulté pour vous abonner, écrivez-moi et on trouvera une solution : il suffit de répondre à cet email.)
On va se parler par lettres interposées cette semaine :) Je t’avoue avoir une position de plus en plus « tranchée » sur le type d’IAG qu’on emploie (et surtout qu’on crée).
"Dans certaines entreprises, l’usage de l’intelligence artificielle générative constitue déjà une règle, voire une injonction. " ça décrit ma vie tellement justement que c'est presque un peu triste.
Coucou mon boss qui m'a indiqué ne pas être d'accord avec un travail que j'ai fourni (travail qui fait partie de ma spécialité et pour lequel j'ai bossé avec un·e freelance aussi spécialiste du sujet) car ChatGPT n'était pas d'accord avec ce que j'avais fait.......................