Quand tu écris sur Internet de façon régulière, se produit un double phénomène très étrange.
D’abord, tu embarques sur une grande roue de hamster.
Les textes sont très éphémères, il faut produire produire produire pour continuer d’exister – parfois au détriment de la qualité.
Je sais qu’un texte publié ici, dans cette newsletter, va réaliser 80% de son audience dans les 48 heures qui suivent la publication. Passé ce délai, il tombe dans la deuxième page de votre boite mail, autant dire : des oubliettes numériques. Si je veux continuer d’être lu·e, je dois écrire un nouvel article sans tarder.
En même temps, à moins de les supprimer, les textes restent en ligne pour toujours, accessibles d’un clic à qui fait la requête Google adéquate. Des oubliettes toutes relatives, donc.
Quand tu mélanges ces deux réalités, ça donne :
une énorme quantité de textes,
produits assez vite,
qui restent en ligne pour toujours,
difficiles à réviser méthodiquement à cause de leur volume.
Sans dénigrer la qualité de mon travail (dont je suis très très fière, en toute franchise), ni renier ma responsabilité d’autrice vis-à-vis de ce que je publie, il me semble important de garder en tête les conditions matérielles de production de la pensée.
Voilà pourquoi j’ai vraiment besoin que vous sachiez que, comme tout le monde, comme vous, je change.
Il y a des choses que j’ai écrites par le passé et que je ne dirais plus de la même façon aujourd’hui.
En particulier à propos du lesbianisme.
Quand j’ai commencé à écrire là-dessus, j’étais en pleine phase de transition, en pleine sortie de l’hétérosexualité.
Plus hétéra, mais pas tout à fait gouine encore.
C’était ça qui m’intéressait d’ailleurs, d’un point de vue littéraire : documenter le doute, l’incertitude. Écrire depuis le flou. Depuis la traversée.
C’est dans ce but que j’ai créé mon compte Instagram jesuisgouine, en 2020, et que j’ai commencé à y publier des textes. D’abord assez poétiques et flous (j’étais timiiiiide), puis de plus en plus frontaux et analytiques.
C’est aussi pour ça que j’ai rédigé Comment devenir lesbienne en 10 étapes aussi vite, en quelques mois à peine.
Bon, évidemment, il y avait les contraintes de calendrier de mon éditrice. Si vous connaissez un peu le milieu de l’édition, vous savez qu’il y a toujours des contraintes de calendrier des éditeurices.
Mais au-delà de ça, je suivais aussi l’intuition que si je tardais trop, je n’arriverais plus à écrire ce livre, ou que je ne parviendrais plus à l’écrire d’une façon qui puisse résonner avec des femmes vivant encore au sein de l’hétérosexualité.
Parce que je commençais moi-même à trop m’éloigner de l’hétérosexuelle que j’avais été.
Je suis heureuse de l’avoir fait, et d’avoir eu le courage de le faire de cette façon-là.
(Écrire depuis le doute, depuis l’incertitude, c’est tout sauf confortable.)
Mais forcément, après 5 ans de vie lesbienne, de couple lesbien, une sociabilité très largement recomposée autour d’ami·es queers...
Aujourd’hui, je pense depuis un autre endroit.
Cette traversée-là est derrière moi.
Je suis bien arrivée sur l’autre rive. J’y suis même solidement arrimée.
Ce qui m’a conduit à réviser mes positions sur plusieurs points importants.
Je pense que c’est nécessaire de vous le dire.
Déjà, par honnêteté intellectuelle.
Aussi pour sortir de la posture de la personne qui sait tout et ne se dédit sur rien.
Je trouve qu’on entend trop peu d’auteurices ou de penseureuses exprimer directement et frontalement : “là-dessus, j’ai changé / je me suis trompé·e / je veux nuancer”.
Alors que c’est impossible de ne pas se contredire au fil du temps. Ou alors, c’est qu’on a une pensée calcifiée, racornie, à l’arrêt.
Ça nous ferait du bien de reconnaître collectivement qu’on peut redessiner les contours de sa pensée, non ?
Je vous propose donc une série d’articles sur le lesbianisme, plus précisément sur des points que je tiens à nuancer par rapport à ce que j’ai pu dire ou écrire dans le passé, sur Instagram, dans cette newsletter ou dans mon livre sur le sujet.
Voici les sujets des prochaines semaines — pas nouveaux, mais sur lesquels ma pensée a évolué :
le couple lesbien, c’est vraiment mieux que le couple hétéro ?
la portée politique du lesbianisme : révolutionnaire ou pas tellement ?
“Rejoindre la communauté queer”, ça veut dire quoi, concrètement ?
Si la démarche vous allèche ou vous intrigue…
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A très vite.
Trop bien!! 🔥💪🏻💜 Hâte de lire la suite ☺️
Super intéressant de voir comment y’a pensée a évolué!