J’en ai ma claque, de la colère.
Il me semble que c’est la seule émotion tolérée dans le militantisme.
La seule émotion bienvenue.
D’ailleurs les bios Instagram de nombreuses personnes « engagées » l’indiquent en toutes lettres : “VNR”.
Je suis, tu es, nous sommes vénères.
C’est bien la seule fois qu’on verra des militant·es mettre en avant comme ça une émotion.
Je ne connais personne qui se présente comme « féministe triste » ou « anticapitaliste heureuse ».
Mini-parenthèse avant de continuer : si vous avez raté l’atelier d’écriture de lundi dernier, les exercices d’écriture (explications par moi au format audio + slides support de l’atelier) sont disponibles pour vous tout à la fin de l’article.
Alors bien sûr, je sais pourquoi on a eu besoin d’en passer par là.
La colère est une émotion réprimée chez les femmes et plus largement toutes les personnes dominées.
J’en parlais récemment : le même bébé qui pleure sera vu comme un bébé triste si on dit qu’il s’agit d’une fille, et comme un bébé en colère si les gens pensent que c’est un garçon. Toute émotion négative chez une petite fille est ramenée à la tristesse. Toute émotion négative chez un petit garçon est assimilée à de la colère.
Se mettre en colère, c’est une condition préalable à la remise en cause de l’ordre dominant.
La colère des femmes, des personnes noires, des personnes pauvres, autant de colères soigneusement étouffées parce qu’en elles se trouve la graine de la révolution.
Dans ces conditions, facile de comprendre pourquoi les mouvements d’émancipation doivent nécessairement s’appuyer sur une réappropriation politique de la colère, créer des espaces où la rage peut enfin trouver à s’exprimer.
Et puis la colère est une émotion qui fonctionne très bien avec les réseaux sociaux, aussi.
Points d’exclamation accusateurs, tirades enflammées. Qu’on le rejoigne ou qu’on le méprise, le spectacle de la colère des autres nous engage émotionnellement et nous fait rester plus longtemps sur l’application qu’un discours nuancé, précis et constructif.
J’ai participé à ce jeu dans le passé. Mes posts les plus lus et relayés sur Instagram étaient des textes très courts, à base de punchlines, qui désignaient un ennemi net et s’exprimaient sur un ton indigné. Plus j’écrivais sur cette application et plus mes textes, donc ma pensée, allaient dans cette direction. Ca fait partie des raisons pour lesquelles j’ai choisi de m’éloigner de cette forme d’écriture, et de lancer cette infolettre.
Dans les espaces militants dont je fais partie, j’ai vu des colères énormes, dévastatrices, défaire les liens de solidarité que nous tentions de construire.
Au-delà des réseaux sociaux et du militantisme, d’ailleurs : qu’il s’agisse de ma famille, de mes ami·es, de mon amoureux·se ou de vous-même, qui lisez cette infolettre, je trouve presque toujours plus facile de montrer ma colère que ma tristesse, ma honte ou ma culpabilité.
La colère me permet de porter une armure.
Ca protège, une armure. C’est lourd aussi.
Je ne dis évidemment pas qu’on n’a pas le droit d’être en colère.
Déjà parce que c’est littéralement impossible : cette émotion fait partie des réalités que tout être humain traverse. Ensuite, parce qu’on a besoin de la colère pour retrouver de la voix dans un monde qui nous demande de remercier en souriant l’étau qui nous oppresse.
Je me demande : pourrait-on faire de la place aussi pour autre chose ?
Je me demande : sommes-nous capables de trouver une radicalité dans la douceur ?
Je me demande : n’y a-t-il pas un certain confort dans la colère ? Une certaine facilité, quand on s’y installe dans la durée ? Quand l’indignation ostentatoire devient un outil pour se sentir supérieur·e aux autres ?
Je me demande : l’engagement politique prend sa source dans la colère, mais est-il obligé d’y rester ?
Réhabiliter la colère, d’accord, mais pas sans donner des outils pour la traverser, et décider ce qu’on fait, de l’autre côté.
La colère est une force destructrice. Un NON.
On a besoin aussi de construction, pour tenir dans la durée et pour construire ensemble.
On a aussi besoin de savoir dire OUI.
Et pour ça, on a besoin d’autres émotions.
C’est pourquoi j’entame une série d’articles sur nos émotions et leur lien avec la pensée et l’action politiques.
Dans les prochaines semaines, on va parler de :
de la joie et du confort : comment se faire du bien sans renoncer à garder les yeux ouverts sur le monde ? ;
la culpabilité et la honte, qui posent la question de la responsabilité individuelle face aux violences systémiques ;
la tristesse : truc plombant à éviter comme la peste, vraiment ? ;
et, pour finir, je vous proposerai des ressources accessibles (films, livres, podcasts) pour élargir la réflexion.
Si ces sujets vous intriguent ou vous allèchent, je vous invite à souscrire un abonnement payant pour ne rien rater.
Il suffit de cliquer ici, ça prend 2 minutes grand max et ça vous donne accès à plein d’avantages :
Et bien sûr, un très grand merci à toutes les personnes qui me soutiennent déjà et qui me permettent de faire exister une infolettre à la fois intime et engagée, sur des sujets qui ne trouveraient leur place dans aucun autre média.
Sur un tout autre sujet, voici les exercices d’écriture de l’atelier qui s’est tenu hier, sur le thème “Ecrire à partir d’une photo”.
Il y a donc 1 exercice introspectif + 1 exercice créatif au format audio + slides de l’atelier :
Les slides
L’exercice d’écriture introspective (réfléchir à soi, pour soi)
L’exercice d’écriture créative (écrire de façon plus littéraire, aller vers la fiction)
Si vous rencontrez une difficulté pendant l’écriture ou que vous avez envie de me faire un debrief de la façon dont ça s’est passé pour vous, écrivez-moi par email et on en discutera.
Il suffit de répondre à cet email ou bien de m’écrire à jesuislouisemorel [at] gmail [point] com
Votre retour m’intéresse beaucoup, alors n’hésitez pas.
A très vite.
C’est épuisant d’être toujours en colère! Hâte de lire la suite 🤓🙌🏻
Mais quelle merveilleuse idée !