Quand un journaliste m’a contactée pour me demander de discuter des ressorts sous-jacents à l’invisibilisation de la lesbophobie, j’ai été mise face à un paradoxe un peu gênant.
J’écris beaucoup à propos du lesbianisme… et finalement très peu à propos de la lesbophobie.
En un sens, je participe moi-même à l’invisibilisation du phénomène.
Pendant longtemps, je n’arrivais pas à me saisir du sujet.
Je trouvais ce thème gluant, glauque. Je me sentais prise en étau entre :
l’attente hétéronormée d’un discours plaintif (“ouin, c’est tellement dur d’être lesbienne, vous avez bien de la chance vous les hétéros” - JAMAIS),
la joie que je puise dans ma gouinerie,
et la réalité des violences ordinaires que j’encaisse depuis que je suis out.
Mon dernier post sur le sujet (“Sale gouine !”) témoigne de mon embarras.
Comment parler de tout ça sans rien trahir ?
Aujourd’hui, j’y vois un peu plus clair.
Alors allons y et tentons de répondre à cette question : pourquoi la lesbophobie est-elle invisibilisée de cette façon ?
Une première réponse toute simple : dès lors que le lesbianisme lui-même est invisibilisé, tout ce qui a trait au lesbianisme, y compris la lesbophobie, est invisibilisé aussi.
L’homosexualité entre hommes blancs fait bien davantage scandale en société patriarcale, parce qu’elle vient attaquer le seul individu qui est véritablement reconnu, dans ce système, comme un sujet politique : un homme cisgenre blanc.
Tandis que le lesbianisme concerne des femmes et des minorités de genre, c'est-à- dire des individus qui ne sont pas considérés comme de pleins sujets politiques.
En tant que femme (ou disons personne sexisée), on est privée de notre agentivité politique, avant même d’être lesbienne. Si on manifeste, on est hystérique. Si on est lesbienne, on est mal-baisée.
Chacun de nos actes est renvoyé à la sphère intime, domestique, psychologique.
Nous n’avons pas accès au social ni au politique.
Ce n’est pas qu’il soit plus facile d’être lesbienne (oh non), ou mieux accepté (vraiment pas), mais plutôt que le lesbianisme est renvoyé par le système patriarcal à la non-existence. Au non-être. Déni pur et simple de nos vies.
Le désintérêt presque total des hommes cisgenres pour la question du lesbianisme s’explique assez simplement :
cela ne les concerne pas…
donc cela n’existe pas.
(En toute logique, le seul truc qui peut éventuellement les conduire à s’apercevoir qu’on est là, c’est s’ils imaginent la possibilité d’un plan à trois – déso pas déso Jean-Mich, ni aujourd’hui ni jamais).
Bref, si le lesbianisme n’existe pas dans l’esprit des gens, la lesbophobie n’a aucune chance d’y exister non plus.
Mais il y a un truc plus subtil qui explique l’invisibilisation de la lesbophobie.
Même pour des personnes politisées, conscientes de l’existence du lesbianisme, une difficulté supplémentaire pour appréhender sérieusement la lesbophobie vient du fait que les femmes hétéros souffrent aussi de nombreuses discriminations, qui sont normalisées et naturalisées.
On est collectivement habitué·es à un tel dénigrement des femmes en général que la discrimination envers les lesbiennes en particulier nous émeut moins.
A contrario, l’homophobie à l’égard des hommes cis blancs est une claire dérogation à un statut cismasculin blanc dominant. Les hommes blancs cisgenres ne sont pas censés se faire insulter dans la rue sans aucune raison ou casser la gueule ou rabaisser en permanence. L’anomalie est visible.
Qu’une femme soit discriminée, on va moins s’en émouvoir.
Après tout, 1 femme sur 2 a déjà subi des violences sexuelles au cours de sa vie (agressions sexuelles, harcèlement sexuel, viols…).
Du coup, quand une lesbienne dit qu’on l’a insultée dans la rue, je pense qu’on peut avoir inconsciemment, même en tant que femme, même en tant que féministe, même en tant que lesbienne, ce réflexe consistant à se dire “oui, bah, ça va, c’est pas si grave…”.
Parce que presque toutes les femmes ont été insultées dans la rue.
Mais ce n’est pas tout.
Encore plus difficile à démêler :
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