Trop étrange

Je ne peux pas.

Aujourd’hui, j’étais censée sortir un article sur l’anticapitalisme.

Plus précisément, sur ce qu’on peut penser du contre-argument le plus fréquemment opposé aux anticapitalistes : “oui, mais le communisme c’était pire”.

L’article est rédigé. Je suis contente de son contenu et je me réjouis que vous le découvriez bientôt.

Mais je ne me vois pas l’envoyer cette semaine. 

C’est trop étrange de continuer à publier cette série sur l’anticapitalisme, pour importante qu’elle soit, quand un massacre se poursuit depuis plusieurs semaines et que, comme beaucoup, la tragédie en cours m’occupe bien plus l’esprit que n’importe quoi d’autre.

Le business as usual est trop absurde, trop inhumain.

Je ne peux pas.

Et en même temps, je suis violemment consciente de ne pas avoir grand chose d’intelligent à dire sur ce qui se passe en ce moment à Gaza.

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Il y a des horreurs qui dépassent l’imagination.

Je ne peux pas imaginer ce que ressentent les personnes coincées sous des bombardements permanents depuis des jours et des jours. Je ne peux pas imaginer l’ampleur de la destruction, ni la profondeur du désespoir.

Là où je suis, protégée par le hasard de ma naissance (en France, blanche, de parents possédant des papiers d’identité et dans un foyer à l’abri financièrement)... Là où je suis et malgré l’épaisseur des strates de privilèges qui me protègent du pire, m’envahissent la tristesse, la colère et le dégoût.

Je suis écœurée par la complaisance de nos gouvernements vis-à-vis de la politique génocidaire d'Israël,

écœurée des images et vidéos toutes plus terribles les unes que les autres qui ne cessent de nous parvenir, heure après heure, jour après jour, des morts muettes qui s’empilent sans qu’aucune force politique crédible sur la scène internationale n’appelle au cessez-le-feu,

écœurée des interdictions de manifester qui témoignent de la fascisation croissante de nos sociétés et de la déshumanisation avancée de nos adelphes musulman·es,

écœurée que certain·es aient la mauvaise foi d’assimiler les antisionistes aux antisémites (quitte à nier l’existence de personnes juives antisionistes, après tout pourquoi se gêner ?), ,

écœurée que d’autres saisissent et détournent un combat nécessaire pour vomir leur antisémitisme abject, semblant justifier les propos des premiers,

écœurée que pour d’autres encore, toute condamnation des atrocités du Hamas revienne à donner un blanc-seing au carnage colonial en cours – je ne me réjouirai jamais de meurtres de civils, jamais, quel que soit leur passeport, et cela n’a aucun rapport avec le fait de soutenir l’Etat d’Israël,

écœurée que l’extrême-droite française, un bastion historique de l’antisémitisme, prétende soudain défendre les personnes juives pour toujours plus déshumaniser les personnes musulmanes… et écœurée que tant de personnes se laissent prendre au piège, et à une telle vitesse.

Ecœurée, enfin, que dans les médias mainstream, si rarement soit évoquée la politique coloniale et raciste menée par l’Etat d’Israël depuis des décennies.

Une politique à laquelle l’antisémitisme européen, multiséculaire et toujours bien vivace, a fourni ses fondations les plus solides. 

L’impression d’assister à un carnaval macabre : celui de la malhonnêteté intellectuelle et de la déshumanisation.

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On reparlera longuement de colonisation, de déshumanisation, d’antisémitisme et d’antisionisme.

Pas tout de suite, mais on en reparlera. 

Ces sujets, hélas, seront encore d’actualité dans quelques mois, et je pourrai alors les traiter avec le sérieux, la lucidité et la disponibilité qu’ils requièrent. Je ne les évoque pas plus en détails pour l’instant parce que je pense qu’il n’y a actuellement pas beaucoup de place pour ça, ni dans mon cerveau (et mon cœur) ni dans le vôtre. Je n’ai pas envie d’ajouter à la cacophonie. 

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Pour l’instant et faute de pouvoir faire mieux, je voudrais vous inviter à  :

• suivre ce qui se passe, en essayant d’obtenir des informations de la part de personnes concernées, par exemple à travers le compte Instagram de Rima Hassan, @rimamobarak. En anglais, toujours sur Insta, il y a @eyes.on.palestine (attention, beaucoup d’images très dures). J’aime bien aussi le média Cerveaux non disponibles, qui tient une ligne très claire à la fois sur l’anticolonialisme et sur l’antisémitisme et qui présente l’avantage d’avoir un site Web (au cas où vous n’avez pas Instagram).
  Le fait de s’informer activement sur les atrocités et de relayer les rares journalistes qui parviennent encore à travailler sur place est une demande forte des personnes palestiniennes.  

• Je vous suggère aussi de varier les points de vue. Pour ma part, je m’informe principalement auprès de médias qui reflètent mes opinions politiques, mais je lis aussi des journaux qui tiennent des position pro-Israël (soit à peu près n’importe quel gros média). Pour entendre ce que dit l’autre camp, réduire le risque de rater une information importante (dans nos cercles aussi, on a nos biais de perception et de présentation)... et mieux fourbir mes arguments quand je débats avec quelqu’un·e qui n’a lu que des médias biaisés en faveur de l’Etat d’Israël.

• en parler autour de vous. Avec calme (je sais, c’est dur), avec des arguments et dans un contexte où une discussion respectueuse est possible. On fait rarement changer quelqu’un·e d’opinion en 15 minutes, mais on plante de petites graines dans l’esprit des personnes avec qui on interagit. 

• Si vous en avez la capacité, rejoignez les rassemblements qui sont régulièrement organisés, un peu partout dans le monde, pour demander un cessez-le-feu. Déjà parce que politiquement, ces rassemblements contribuent à mettre la pression sur nos gouvernements et à témoigner notre solidarité aux personnes qui se trouvent actuellement sous les bombes.

  Je crois aussi que ça va vous faire du bien de ressentir physiquement que vous n’êtes pas seul·e à condamner les crimes commis par l’Etat d’Israël : contrairement à ce qu’on peut lire ici et là sur le fait de ne pas s’impliquer pour “protéger sa santé mentale”, moi je trouve que les manifs de ces dernières semaines ont été plus efficaces que n’importe quelle séance de yoga ou de méditation pour maintenir ma santé mentale à peu près à flot. 

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Pour finir, comme ce sujet est très tendu et au regard de certains messages que j’ai pu recevoir sur Instagram, je rappelle que : 

Tout ceci n’est que suggestion. Pas injonction. 

J’écris chacune de mes newsletters avec le plus grand respect pour votre esprit critique et votre indépendance intellectuelle. J’essaie de ne jamais user d’un ton condescendant, humiliant ou menaçant (du genre : “celleux qui ne disent rien, on vous voit”), parce que ce n’est pas ma conception de la politique ni, à vrai dire, des rapports humains. 

Je vous demande donc d’avoir la même politesse, et de ne pas me répondre avec indignation voire agressivité si, au regard de votre histoire personnelle, familiale, ou de vos conditions de santé, vous n’êtes pas en capacité ou vous n’avez pas le désir de suivre l’actualité relative à la Palestine / prendre position auprès de vos proches / aller en manif. 

Si c’est votre cas, vous pouvez juste ignorer ces suggestions, imaginer d’autres façons de faire en alignement avec vos convictions et vos possibilités, et continuer de mener votre vie avec toute l’indépendance et l’autonomie de l’adulte que vous êtes.

Vous êtes la seule personne apte à savoir comment vous pouvez, et voulez, agir. Je vous invite simplement à regarder votre responsabilité droit dans les yeux.

Le reste vous appartient.

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A la semaine prochaine.

D’ici là prenez soin de vous, prenez soin de celleux que vous aimez, savourez tout ce qu’il y a en ce monde de beau et de bon et de joyeux.

Je vous envoie de la force, de la tendresse et du courage.