Je me sens un peu malhonnête sur un truc.
J’ai besoin d’être plus claire avec vous.
Dans les manifs, sur nos tracts, en réunion, en AG : nous les militant·es de gauche, on répète à l’envi qu’on va “tout cramer”. On va brûler le patriarcat, ou le capitalisme, ou la suprématie blanche, ou tout ça à la fois.
Bref, l’idée est toujours la même : tout détruire pour recommencer à zéro.
Sauf que : je n’y crois pas du tout.
Je sais que c’est hyper mal vu, qu’on va me dire que je suis juste une réformiste sans ambition, une social-traître, une petite-bourgeoise mal dégrossie (et caetera, cette liste pourrait continuer longteeeeemps).
Simplement, je ne connais pas de moment dans l’histoire où “tout brûler” ait fonctionné.
D’abord parce qu’on ne brûle jamais tout, il reste toujours des continuités.
Elles sont d’autant plus ravageuses qu’elles restent impensées : plus tu crois naïvement que tu t’es débarrassé de tout ce qui précédait, et plus ça te “bite in the ass”, comme disent les anglophones, ça te court après et ça te “mord les fesses”.
Par exemple, la Révolution française était censée abolir les privilèges une bonne fois pour toutes, en finir avec la noblesse. Pourtant, la France reste un pays où les classes sociales sont très marquées et, à la noblesse au sens traditionnel, ont succédé d’autres types de noblesse, notamment la “noblesse d’Etat” théorisée par le sociologue Pierre Bourdieu.
Ensuite, ce “feu” est difficile à maîtriser et il fait souvent de gros dégâts ni souhaités, ni souhaitables.
Regardez l’histoire de la révolution de 1917.
Je parle du mouvement révolutionnaire né en Russie, qui commence en février 1917, dont l’idéologie était d’abord le socialisme puis le communisme.
Ces gens étaient bien mieux préparés que nous aujourd’hui, à beaucoup d’égards : ils avaient une idéologie solide, des buts relativement concrets et surtout, ils étaient habitués à travailler de façon collective. La constitution des “soviets”, ces conseils populaires de démocratie directe, est un exemple impressionnant de coordination et d’éducation politique.
Et c’est parti complètement en cacahuète, assez vite, avec une guerre civile qui a été d’une brutalité effarante puis un régime meurtrier pour sa population.
(S’il y a quelqu’un dans le coin qui veut me dire que l’URSS c’était quand même pas si pire, je sors les crocs.)
Qu’est-ce qui nous fait penser que ce serait différent aujourd’hui, qu’on sait mieux s’y prendre ?
Parenthèse pour faire un petit rappel.
J’anime un atelier d’écriture demain, mercredi 29 octobre, de 17h30 à 19h, pour les abonné·es premium du Grain.
Notre thème : écrire avec le goût et les odeurs. Ca va être super et plein de surprises, avec une amorce d’écriture qui change de ce qu’on fait d’habitude.
Les abonné·es premium recevront automatiquement le lien Zoom demain matin.
Si vous êtes allergique aux abonnements, vous pouvez aussi prendre votre place à l’unité juste ici.
J’ai l’impression que ces slogans incantatoires servent surtout à éviter de se demander quels changements concrets on attend.
C’est plus facile d’hurler à l’unisson “tout cramer” que d’avoir de longues, douloureuses et chiantes discussions sur le système de taxation ou le mode de coordination interrégional des transports publics.
Mais ces discussions sont nécessaires. Tant que nous, gens de gauche, on ne s’y colle pas, c’est soit pas fait, soit fait dans l’esprit le plus libéral-capitaliste-merdique qui soit.
Aka : “Dérégulez tout mais n’oubliez pas de prévoir que de VASTES quantités d’argent public aillent dans les poches des plus riches, merci bien !”
En plus, la bonne nouvelle, c’est qu’il y a déjà beaucoup de projets progressistes qui ont déjà été pensés par des tas de gens différents. Simplement, il me semble qu’ils peinent à être discutés plus largement. A part le revenu dit “universel”, il ne me semble pas qu’il y ait eu de grand débat de gauche sur une mesure concrète depuis un bout de temps.
Je comprends bien qu’on est super occupés à essayer de protéger les “acquis sociaux” qui sont 0% acquis, mais je crois vraiment qu’on y arriverait d’autant mieux si on était plus capables d’esquisser un autre futur.
Dans la communication des partis de gauche que je reçois, par exemple, presque tous les titres sont similaires : un truc qui commence ou finit par “contre Macron”. Je suis évidemment contre Emmanuel Macron et tout ce qu’il représente. Mais ce discours ne suffit pas, notamment parce que tous les partis politiques tiennent le même. Demandez aux malnommés “Républicains” (SCANDALE qu’ils aient le droit de prendre ce nom) : ils vous diront qu’ils sont contre Macron. Demandez aux gens du RN : ils vous diront qu’ils sont contre Macron. Pour que les gens adhèrent à la gauche, juste répéter en boucle qu’on déteste le même mec que l’intégralité du spectre politique, y compris nos pires ennemis, ça ne suffit pas.
Je ne dis pas que faire la révolution est impossible.
Bien au contraire.
Je crois fermement, intimement, qu’un monde juste est possible.
Alors je saiiiiis que ça sonne comme un discours Miss France.
Mais déjà, on arrête de se moquer des Miss France car il y a un fond misogyne fatigant, et ensuite je ne n’écris pas ces mots à la légère.
Nous pouvons faire la révolution. J’en suis convaincue, pour de vrai.
Pour reprendre l’exemple de la révolution de 1917, je ne pense pas que c’était inéluctable que ça se termine comme ça — surtout que la responsabilité des contre-révolutionnaires est immense dans le bain de sang —, et je ne crois pas non plus que cet échec condamne tout futur socialiste.
D’ailleurs, j’ai déjà répondu longuement au fameux argument : “tu dis que tu es anticapitaliste, c’est donc que tu plaides pour le retour des goulags” juste ici.
Les êtres humains ont cette capacité incroyable qu’est notre imagination, et nos histoires témoignent assez du fait qu’on arrive à inventer énormément de systèmes socio-politiques différents.
On n’est pas coincés pour toujours dans cette dystopie de l’enfer où des enfants meurent pour qu’on puisse jouer à Candy Crush.
Il y a plein de gens qui travaillent très dur pour tenter de nous faire croire que rien d’autre n’est envisageable, mais ce sont les pires menteurs.
Donc : on peut faire mieux.
On peut rêver grand, fort, loin — et que ce soit parfaitement réaliste.
Par contre, “tout cramer” c’est, au mieux, la partie la plus facile du travail politique et, au pire, une illusion dangereuse.
Ce qui nous attend : un énorme travail d’invention, de coordination et d’implémentation.
Une fois que j’ai écrit tout ça, évidemment, une question se pose inévitablement :
“OK Louise, mais toi, tu proposes quoi concrètement, si ce n’est pas de foutre le feu partout ?”
Et oh là là, quelle transition parfaite on dirait presque que c’est moi qui l’ai rédigée parce que ça m’arrangeait :
c’est justement le sujet d’une nouvelle série d’articles que j’entame.
Chaque mardi pendant 5 semaines, je vous propose une idée argumentée en faveur d’un changement concret et précis.
On va parler :
de justice sociale : que peut-on faire là tout de suite maintenant pour éviter la reproduction des inégalités ?
de nos salaires : pourquoi un commercial chez Coca-Cola gagne autant d’argent et une infirmière si peu ? comment faire autrement ?
de vote : est-ce que d’autres systèmes que des élections avec 50% d’abstention existent ?
de migrations : les frontières, est-ce vraiment nécessaire ?
de travail du sexe : on entend partout qu’il faudrait l’interdire, pourquoi et quelles sont les alternatives ?
du logement : pourquoi se loger coûte-t-il si cher ? est-ce inéluctable ?
Le tout écrit de façon accessible et avec des petites blagounettes : les sujets sont sérieux mais on n’est pas obligées de partir en mode intello-relou pour autant.
Vous aussi, vous avez envie de nourrir votre imaginaire politique avec autre chose qu’un lance-flammes ?
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Grand merci aux abonné·es premium qui me permettent de mener ce travail de fond 💜
Le moment de joie de la semaine, c’était de faire un atelier “rouge à lèvres” avec une amie proche.
En ce moment, j’ai besoin de cultiver la joie.
Alors chaque mardi, avant ou après la chronique du jour, je vous raconte quelque chose, quelqu’un, un moment précis qui m’a fait du bien.
Avant avec cette amie, on avait tendance à se voir pour des cafés assez rapides, où se racontait vite fait nos vies une fois par mois.
Elle m’a demandé qu’on se voie sur des temps plus longs, pas forcément plus souvent, mais qu’on prenne le temps de se créer des souvenirs communs.
Et elle a eu raison : depuis, on essaie de s’organiser des temps de partage qui nous laissent plus d’espace pour tisser notre lien. Parfois on prépare un gâteau ensemble, parfois on fait des bracelets en perles, parfois on joue au ping-pong dans un parc, et là j’avais craqué sur un workshop “make your own lipstick” car, que voulez-vous, je suis frivole.
J’ai passé un super moment à mélanger les couleurs en me concentrant pour ne pas en mettre partout.
Et maintenant je frime de ouf avec mon rouge à lèvres que je mets tout le temps alors que de base j’en porte jamais, un peu comme si j’avais 12 ans et que je venais de m’acheter mon premier gloss.
Joie.
Et vous, votre joie de la semaine, c’était quoi ?
Dites-nous en commentaires.
Quelques pépites partagées la semaine dernière, qui m’ont réchauffé l’âme et peut-être arraché quelques larmes :
“Aller à la salle de sport avec une copine 💛 et les mots de mes ami·es qui m’accompagnent dans les montagnes russes d’une nouvelle relation amoureuse 🙈🥰”
“L’odeur des coings bien rangés dans leurs cageots dans l’entrée, si douce & fruitée”
“La palette de couleurs des arbres, du vert au rouge (quasi) vif en passant par toute une gamme de jaunes et orangés”
“Il y a quelques jours, j’ai demandé ma copine en mariage dans une librairie queer qui m’avait réservé un coin discret. Depuis, on prépare le mariage : c’est plein de questions - surtout sur la cérémonie civile, que je ne connais pas - mais on avance avec beaucoup de joie.”
A la semaine prochaine, les copain·es.





Ho! Tu soulèves là une position que j'ai tenu de longues années, je n'ai jamais cru à la terre brûlée et j'ai trouvé que cette énergie au lance-flammes était confortable pour mes camarades hommes hetcis, blancs, bourgeois et valides. Ça flattait leur ego et boostait leur virilité, et ça construisait nada. La révolution? En France les révolutionnaires mâles refusent le droit de vote des femmes et leur présence à l’assemblée, à Cuba elle se transforme en dictature, etc.
Ton approche est enthousiasmante! Il y a plus de fruits à récolter de nos idées que de nos saccages, j'en suis convaincue.
Merci pour cette lettre !
Tu connais peut être mais je voulais partager ici un combat qui me met en joie : celui des artistes-auteurices qui se battent actuellement pour une continuité de revenus. Dans les arguments « contre » ou raisons de ne pas se battre, on trouve cette idée que « dans un moment où on s’attaque au régime de l’intermittence et plus généralement à la culture, demander un nouveau droit est absurde » et j’aime beaucoup l’énergie de ceux qui se battent depuis plusieurs années maintenant - et que j’ai rejoint à mon niveau - qui disent « au contraire » ou en tout cas que c’est pas une raison pour ne pas se battre encore et toujours pour construire de nouveaux droits.
Bon dans ma tête le lien avec ta lettre est très clair, j’en suis moins sûre maintenant, peut être que j’ai juste envie de parler de cette énergie collective qui me semble constructive !
Je vais peut être bien m’ajouter un abonnement payant pour suivre la suite de tes réflexions !