Enfoncer une porte ouverte.
Voilà peut-être l’impression que je vous donne en écrivant un post sur les clichés sexistes.
N’est-ce pas un peu dépassé de s’attaquer à ce sujet ?
Même les personnes les plus conservatrices de mon entourage sont plus ou moins d’accord pour dire que ce n’est pas totalement acceptable de construire une histoire autour d’“une meuf jolie et pas trop maline qui récure la cuisine en chantonnant et attendant le prince charmant”.
Sauf que…
Vu le contexte politique actuel (= fascisme, “réarmement démographique”, restriction du droit à l’avortement, mise en valeur de modèles traditionnels et soumis de la “féminité”), à mon avis, on va voir ressurgir très rapidement des clichés qu’on pensait avoir mis à la poubelle depuis longtemps.
Ambiance “le retour des zombies”. Des zombies dont la mise en pli, les tartes aux quetsches et la dévotion conjugale seront aussi impeccables qu’angoissantes.
Les clichés sexistes peuvent être beaucoup plus subtils que ça. Bien plus insidieux.
Vos propres contributions de la semaine dernière le montrent très clairement : il y a pléthore de stéréotypes subtils et ultra présents.
(Si vous n’êtes pas encore allé·e lire le doc participatif de la semaine dernière où chacun·e indiquait les clichés sexistes qui la gonflent, faites-le. C’est vraiment UN REGAL d’intelligence et d’humour. Merci d’avoir joué le jeu!)
Moi-même, autrice féministe, je me débats souvent avec des stéréotypes misogynes quand j’écris.
Quand je crée des personnages et des situations, quand j’imagine les ressorts de l’intrigue, très vite j’observe que je recours presque “malgré moi” à des clichés sexistes.
Ca me demande un vrai travail de les identifier et de les reprendre pour voir ce que je peux en faire d’intéressant.
J’ai donc eu envie de vous faire la liste des 7 clichés sexistes que je trouve les plus pervers, ceux qui ont tendance à s’inviter dans mes écrits et dans les œuvres estampillées “féministes” que je lis ou regarde.
Point important : je n’ai pas écrit cette liste en mode “je donne des leçons aux autres du haut de mon savoir féministe”.
Cette liste s’adresse à moi d’abord.
Une sorte de pense-bête des trucs auxquels je dois faire attention.
Et pour celleux qui ont été dépité·es que je critique la série Arcane la semaine dernière (👋🏻Isaure et Elise 💜), à la fin, je vous résumerai vite fait ce qui m’a paru grossier ou juste nul sur le plan du genre, spécifiquement dans cette série.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, petite annonce :
L’atelier d’écriture du mois de février se tiendra mercredi de la semaine prochaine, le 5 février, de 12h30 à 13h30.
On va écrire autour de la notion de “regard situé” : écrire à partir de qui on est, où on est, avec qui on est.
Je vous en reparlerai la semaine prochaine mais comme ça vous pouvez déjà le noter dans votre agenda.
Cliché n°1 : toutes les femmes sont belles
Les personnages féminins sont presque toujours des bonnasses.
Plus spécifiquement : des bonnasses pour un regard cis-hétéro masculin.
Même ça n’apporte rien à l’intrigue, même quand ça ne cadre pas tellement avec le reste du personnage, bim bam boum, on glisse une petite mention ici ou là dans le roman qui nous fait comprendre qu’elle est belle, que sa taille est fine, ses seins généreux et ses fesses fermes.
Raaaaaahhhh.
Dans les rares cas où un personnage féminin est décrit comme moche, on a 2 options : soit elle n’aura jamais de rôle intéressant dans l’histoire, soit elle va soudainement se révéler une énorme bombe en enlevant ses lunettes et détachant ses cheveux comme dans une pub pour shampoing.
Instant confession : j’ai vraiment du mal à écrire un personnage féminin de premier plan en me disant “OK, elle va être moche.”
Il y a quelque chose en moi qui résiste, je veux absolument la “rattraper” en lui filant des yeux violets insensés ou un truc du même genre.
Ce qui est très étrange, car :
dans la vraie vie, nombreuses sont les femmes autour de moi que je trouve passionnantes, drôles, intéressantes ET dont le physique est sans grand intérêt. En fait, je suis moi-même une de ces femmes ;
Les personnages masculins, eux, ont droit à beaucoup plus de diversité. Il y a le bellâtre, le timide créatif, la grande gueule bourrue, le geek…
Enlever ses lunettes et secouer ses cheveux ne transforme pas automatiquement une personne moyenne en top model (il se pourrait que j’aie essayé, ahem).
J’ai déjà écrit sur le sujet de la laideur alors je n’en fais pas des tonnes ici.
Mais sérieusement, je vous promets qu’il y aura des femmes laides (et humaines ! et intéressantes ! et importantes !) dans mon prochain roman.
Cliché n°2 : les femmes utilisent le sexe ou la séduction pour manipuler les autres
Quand j’ai relu le premier jet de Ressource humaine, mon premier roman, je me suis rendu compte avec stupéfaction d’un truc bizarre.
J’avais écrit une scène où mon personnage principal, une femme, utilisait le sexe pour obtenir quelque chose d’un homme.
Pourtant :
ce n’était vraiment pas du touuuuuuut la vibe de ce personnage,
ça rimait à rien par rapport au reste de l’histoire,
il y avait 1000 autres façons d’emmener l’intrigue là où je voulais qu’elle aille,
je ne connais AUCUNE femme dans mon entourage qui fait ça,
Ce que je vois, ce sont plutôt des femmes hétéros qui se forcent à avoir du sexe parce qu’elles pensent que sinon leur mec va les quitter… mais ça c’était absent du livre.
(Dans la version finale de Ressource humaine, j’ai pu corriger et donner une image du sexe hétéro fidèle à ce que j’en connais.)
Cliché n° 3 : les amours lesbiennes sont compliquées et douloureuses
Spontanément, j’ai tendance à écrire des amours gouines tragiques.
Alors que dans l’ensemble les couples lesbiens autour de moi sont infiniment plus doux, joyeux, vivants et vibrants que les couples hétéros.
Les lesbiennes se marrent beaucoup.
Je le sais de première main, et pourtant j’ai du mal à l’intégrer à ce que j’écris.
Cliché n°4 : le bon papa célibataire dévoué à la parentalité
Oh là là.
Celui-ci est très vicieux.
Je ne compte plus le nombre de films ou de séries où on voit un homme élever seul sa fille, plus rarement son fils, avec un dévouement exemplaire doublé d’une sorte de maladresse touchante.
C’est la scène où on le voit tresser les doux cheveux de sa fille avec ses grandes mains de bûcheron, vous voyez l’idée ?
Vous allez me dire : mais quel est le souci ?
C’est bien de montrer des pères comme ça, c’est une nouvelle masculinité, youpi !
Mon problème, c’est que :
ces hommes n’existent pas, ou si peu, surtout pas dans des configurations monoparentales ;
Le fait qu’ils soient aussi présents dans la fiction, à mon sens, sert à renforcer la figure du “bon papa” (ou du “bon père de famille”), au détriment de représentations plus justes (et plus critiques) du rôle des pères et de leurs carences ;
Les mères qui élèvent seules leurs enfants, qui constituent l’immense majorité des familles monoparentales, on les voit jamais, ou alors dans des contextes qui soulignent leurs difficultés et leurs manquements.
Tandis que les pères célibs sont montrés comme des héros trop choupis.
Peut-être que vous avez l’impression que cette figure du bon père célibataire n’est pas si fréquente mais je vous jure qu’une fois que vous l’aurez en tête, vous la verrez partout.
Cliché n° 5 : le trio femme-enfant // moche-castratrice // bonne-mère
Souvent, les personnages féminins se répartissent bien nettement en 3 catégories :
d’un côté, la figure de la “femme-enfant un peu fofolle, fragile et méga bonne”. Son grain de folie ne nuit jamais à sa désirabilité, ses colères s’apparentent à des caprices d’enfant. Elle fait un peu peur. Mais elle est si joliiiie. Inexplicablement très attirée par des mecs sans intérêt et sans charisme ;
de l’autre côté, “la vieille meuf pas attirante, acariâtre et castratrice”. Moche, chiante, désagréable, elle emmerde tout le monde et souvent elle est célibataire, ou alors en couple avec un pauvre homme qu’elle martyrise, ou alors on sous-entend qu’elle est lesbienne. On se moque d’elle, c’est clairement un épouvantail pour dire aux meufs “attention finissez pas comme elle”… pourtant, c’est la seule qui sait dire non, une compétence assez cool ;
enfin, la “bonne mère”, douce, gentille, dépeinte avec tendresse paternaliste, ah là là elle fait les meilleures coquillettes au jambon du monde. Rien ne l’abat, elle est prête à tout pour son enfant, l’instinct maternel quelle magie. Elle est presque toujours en couple hétéro et son mari est plus ou moins useless mais il la réconforte de temps en temps car que ferait une femme sans épaule masculine sur laquelle pleurer ?
Ce n’est pas tout à fait le diptyque bien connu de “la maman et la putain” parce que la femme-enfant fofolle, même si elle est désirable, est présentée comme plus ou moins pure grâce à sa proximité avec l’enfance (culture pédocriminelle, bonjouuuur).
Le pire c’est que souvent ces films ou livres sont perçus comme “féministes” parce que le personnage de la femme-enfant et/ou celui de la bonne-mère sont mis en valeur.
Cliché n°6 : la femme forte et indépendante sans intériorité
On voit de plus en plus de personnages féminins qui reprennent tous les codes du héros masculin traditionnel : fort, combatif, aventureux, ne sait pas exprimer ses émotions mais veut sauver sa mère/son village/le monde (en fonction du degré de mégalomanie culturelle de l’auteurice).
Je comprends carrément la tentation.
On peut se dire : voilà, on va en finir avec ces personnages féminins tout pourris, nous aussi on peut être l’Elue qui va sauver l’humanité à la force de nos gros bras musclés.
Mais appliquer point par point un cliché donne… un autre cliché.
Bien sûr que les femmes fortes existent mais alors on veut bien qu’elles aient une intériorité.
Et peut-être qu’on peut être forte sans vouloir casser la gueule de tout ce qui traverse notre chemin ? Juste une idée.
Cliché n° 7 : la femme coach de vie
Les femmes adoooorent poser de bonnes questions au personnage principal masculin et en écouter patiemment les réponses.
Le nombre de scènes où une meuf se comporte plus ou moins comme une psychothérapeute/coach de vie avec un personnage masculin, en lui demandant comment ça va, en l’invitant à creuser ses émotions, en le rassurant, en l’invitant à rebondir…
Dans les films/livres où c’est une femme (cisgenre, hétéro et blanche…) qui tient le rôle principal, souvent ça va être une femme racisée ou queer qui va jouer ce rôle de “poseuse de questions”.
Comme si elle n’avait que ça à faire.
C’est sûr que c’est pratique pour faire avancer l’intrigue.
Dans la vraie vie, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais la plupart des gens ne sont pas là pour vous écouter parler à l’infini de vos ressentis et vous remonter le moral sans jamais rien demander en retour.
Bon. Une fois que la liste est dressée, se pose la question :
Comment faire pour éviter tous ces clichés quand on écrit ?
On est modelé·es par notre société sexiste (raciste/validiste…).
C’est inévitable que ça ressorte au moment de créer de la fiction ou de la pensée.
Concernant les oppressions que je vis, ma méthode consiste donc simplement, quand je travaille sur un livre, à me relire en me demandant avec le plus d’ouverture et d’honnêteté possible :
Est-ce que j’écris ça parce que ça correspond vraiment à ce que je vis et à ce que j’essaie de dire ? ou bien est-ce que je l’écris parce que c’est un automatisme culturel ?
En d’autres termes :
Est-ce que je suis en train de dire ma vérité ? ou est-ce que je suis en train de réciter ma leçon ?
Un truc qui peut aider, en fiction, c’est de se demander : qu’est-ce que j’écrirai différemment si mon personnage était un homme / une femme ? Hétéro ou queer ? Pourquoi ?
(Pour les oppressions que je ne vis pas, je ne peux pas compter seulement sur mon propre regard, j’y reviendrai dans un autre article de cette série).
Il ne s’agit pas de se “censurer” pour correspondre à une idée prédéfinie de ce qu’est le féminisme.
Par exemple, il y a effectivement des mères pour qui le rôle parental prend le pas sur tout le reste, soit par choix, soit par nécessité, et qui sont heureuses dans cette configuration.
On peut tout à fait parler d’elles, en fiction ou non-fiction.
Juste, il s’agit d’aller plus loin que le cliché de la “mère courage” qui donne tout sans s’en apercevoir.
Quels sont les ressorts psychologiques et sociaux de ce dévouement ?
Quel est son coût (pour la mère et pour l’enfant) ?
Quelles sont ses limites ?
Qui, autour de la mère sacrificielle, encourage ou décourage ce don de soi ?
Si vous creusez honnêtement ces questions, vous allez voir que votre personnage déborde très vite du stéréotype.
Cet article fait partie d’une série sur le thème : “Ecrire en féministe”.
Je ne prétends avoir compris ce qu’est “l’écriture féministe™”, mais j’ai envie de vous dire comment je façonne, moi, mon écriture féministe.
C’est une série qui devrait intéresser les personnes qui écrivent, bien sûr, mais aussi toutes celles qui lisent des textes féministes (=vous, je vous connais !).
Le premier épisode : vous m’avez demandé de créer un atelier d’écriture “Ecrire en féministe”… pourquoi c’est non.
Voici le programme pour la suite :
Pour écrire en féministe, peut-on écrire à propos de vécus qui ne sont pas les nôtres ?
L’intime est politique d’accord, mais comment j’évite d’être indigne ou indécente ? (ma réponse va sans doute vous surprendre)
Ecrire féministe = écrire à plusieurs (+ comment faire concrètement)
pour finir, je vous proposerai des recommandations qui nourrissent mon travail d’écriture dans une perspective féministe. Films, livres, podcasts…
D’habitude, je restreins l’accès de ce genre de série thématique aux personnes qui me soutiennent financièrement.
Exceptionnellement, tous les articles de la série seront offerts.
Pour que ce sujet circule le plus largement possible. Alors n’hésitez pas à le faire suivre à vos copines avec qui vous aimez râler sur les clichés que vous avez repérés à la sortie du ciné :)
Un immense merci aux personnes qui, par leur soutien financier, rendent ce geste possible 💜
Bonus ! Mon avis sur la série Arcane.
Je vous l’avais promis la semaine dernière, certaines d’entre vous m’ont demandé des précisions, les voici 😉
Attention, spoilers.
La série tombe en plein dans les clichés décrits aujourd’hui :
Cliché n°1 : toutes les femmes sont belles - toutes les femmes qui ont un rôle de premier plan sont trèèèès jolies et sexualisées, y compris la policière gouine qui se balade en mini-jupe/talons hauts en pleine mission dangereuse,
Cliché n° 3 : les amours lesbiennes sont compliquées et douloureuses — avant même de ne serait-ce que s’embrasser, Vi et Caitlyn s’embrouillent mille fois tandis que la relation hétéro Jayce/Mel Medarda se fait en 2 secondes avec missionnaire enflammé à la clé ;
Cliché n°4 : le bon papa célibataire dévoué à la parentalité — Vander, homme bourru qui bute des gens à mains nues mais aussi gros nounours trop chou qui élève 4 enfants tout seul (???) + même le salaud Silco est un père aimant et dévoué ;
Cliché n° 5 : le trio femme-enfant // moche-castratrice // bonne-mère — Jinx, femme-enfant fofolle et hypersexualisée ;
Cliché n°6 : la femme forte et indépendante sans intériorité — Vi, femme forte et badass “j’aime la boxe, je réfléchis pas trop, je veux tout taper” + la mère de Mel Medarda, un gros cliché de mec viril mis dans un corps de femme noire avec zéro subtilité ;
Cliché n° 7 : la femme pose des questions — Mel Medarda passe sa vie à rassurer son amoureux Jayce et à lui demander ce qu’il veut faire pour la suite. Alors que son statut est censé être bien supérieur à celui de Jayce, “nouveau riche” fraichement arrivé au Conseil, elle se transforme rapidement en une espèce d’assistante personnelle de son mec.
Néanmoins ! Moi aussi j’aime bien cette série.
Quasi toute la production mainstream de films, de livres et de séries est imbibée de ce genre de clichés, je fais avec, et il peut y avoir d’autres qualités.
Ce qui m’a déçue, c’est que cette série me soit présentée par mes copaines comme une espèce d’OVNI queer déconstruit. A mon sens, c’est pas le cas.
Alors, on est un peu d’accord finalement ?
A la semaine prochaine !
J’essaierai de répondre à la question suivante : pour écrire en féministe, peut-on écrire à propos de vécus qui ne sont pas les nôtres ?
N’oubliez pas de noter le prochain atelier d’écriture dans vos agendas : mercredi 5 février, de 12h30 à 13h30. Plus de détails mardi prochain.
C’est super intéressant comme approche alors déjà merci beaucoup pour ton travail d’introspection amené avec humour qui ouvre la voie sur nos mécanismes inconscients.
Je m’étais moi-même faite la réflexion il y a quelques temps lorsque j’ai réalisé que les personnages de séries/films auxquels j’avais tendance à beaucoup m’identifier par le caractère, étaient rendues lesbienne à un moment ou un autre du show. Comme si une femme avec une énergie masculine mais également une sensibilité ne pouvait pas vivre un amour hétéro tu sais ?! Nan, forcément elle est powerful.
On a encore un peu de chemin pour tout déconstruire je pense mais ta newsletter apporte une super pierre à l’édifice !
Quand même trop drôle. La majorité des commentaires à cet article viennent d’hommes.
Je trouve cette grille de lecture super interessante et pertinente. Merci de la rendre accessible.
En tant que militante anti grossophobie forcément toute la question de l’apparence physique me parle énormément. Je rêve d’un téléfilm de noel avec une héroïne grosse et des gens vrais. Genre on mettrait les acteurs qu’on voit plutôt dans les series policieres de la bbc. 😁
L’idée de calquer du modèle masculin la femme forte compétitive coupée de ses émotions est aussi hyper récurrent. A croire qu’une femme accomplie est un homme. Mais il existe un salut en dehors du modèle hetero patriarcal. ☺️