Il se passe un truc chouette et étrange à la fois.
Je ne sais pas si vous le savez ? Je fais de l’accompagnement à l’écriture.
En clair : j’aide des gens à aller au bout de leur projet d’écriture.
(Qu’il s’agisse de publier des textes sur les réseaux sociaux, d’écrire un roman, de finir un essai ou de lancer une infolettre…)
Au départ, je voulais me spécialiser en écriture de l’intime et puis j’ai pensé allez, laissons faire le destin.
Je n’ai donc rien dit.
Et là, bim !
Presque tous les projets sur lesquels on me demande de l’aide mettent très directement en jeu une dimension intime.
Du coup :
merci le destin, t’as carrément géré cette fois 🔥🔥 (pas comme quand tu m’as filé de l’acné horrible de mes 12 à mes 22 ans……………..)
on me pose souvent la même question.
Non, en fait, pas souvent.
C’est un truc qui revient tout. le. temps.
La question :
“Comment je fais pour exprimer ma vérité intime sans être indigne, ou indécente ?”
Ma réponse :
(brutale mais sincère)
Si tu veux dire quelque chose d’intéressant dans une perspective féministe…
Il y a de fortes chances que tu doives être indigne et indécente.
Cependant !
Il y a 3 contresens à éviter :
1. Ceci n’est pas une injonction à parler de l’intime parce qu’on est une meuf, en mode “féminin sacré essentialisant”.
Genre “parle de tes règles, parle de ta chatte, parle de ton Utérus Divin et de comment il s’aligne avec les cycles de la lune éternelle. Puis laisse les vrais grands sujets politiques aux hommes, merci.”
Au contraire, c’est une invitation à politiser l’intime.
C’est-à-dire à faire déborder nos sujets “de femmes” (ou de personnes sexisées) dans l’espace public, et les constituer en vécus dignes d’intérêt et de débat politique.
2. Quand je dis “soyez indécentes”, ce n’est pas non plus une invitation à parler spécifiquement de sexe.
Je dirais même que le sexe en littérature n’est souvent pas un endroit de véritable indécence… ou alors il faudrait raconter le sexe autrement.
Mais en soi, une scène de sexe, en 2025, c’est pas spécialement transgressif.
Comme le soulignait récemment l’illustratrice Chtam dans un récent post Insta, aussi hilarant que tranchant : le sexe, y en a partout tout le temps.
Bien sûr, on peut avoir envie de parler de sexe juste parce qu’on kiffe, ou parce que ça fait sens dans l’intrigue, ou parce que c’est important pour nous — et c’est OK, évidemment.
Mais on a trop souvent cette idée que sexe = transgression.
Sauf que “ma scène de cul hétéro torride avec cet homme marié”, c’est plutôt valorisé socialement.
Peut-être que l’intime indigne indécent, c’est plutôt “l’absence de sexe dans mon couple depuis 3 ans”.
Vous voyez où je veux en venir ?
3. Dernier truc important : il ne faut pas confondre ça avec une survalorisation du “trash”, du scandale.
Choquer pour choquer, ça peut être très émancipateur et rigolo.
Mais il y a 3 grands gros “mais” :
ça tourne vite à la rumination d’ado attardé qui se croit subversif et puissant alors qu’il a juste besoin de dépasser son obsession du mot “quéquette” et de regarder au-delà de son nombril.
(Charlie Hebdo, on pense à vous.)
ce n’est certainement pas ce que je conseillerais à quelqu’une qui se débat déjà avec la question de l’indécence dans ce qu’elle écrit.
ce n’est pas un mode d’expression qui m’intéresse et m’épanouit.
Au contraire, je crois que la pudeur a toute sa place dans mon travail d’écriture.
Un peu comme en cinéma, où le hors-champ (ce qui n’est pas dans l’image projetée sur l’écran), est très important.
En littérature aussi, le hors-texte, tout ce que je ne raconte pas, les trous du texte, ses ellipses, je crois que c’est à la fois nécessaire et beau.
Quand je parle d’être indigne et indécente pour écrire en féministe, ce que je cherche à dire c’est :
Dire la vérité, dire en particulier ce qu’on a peur de s’avouer.
Essayer de raconter ce qu’on nous a appris à ne pas voir, à ne pas dire, à entourer de silence.
Vous allez alors devenir une femme indigne.
Une femme indécente.
Forcément.
C’est mathématique.
En patriarcat, les seules femmes dignes sont celles qui jouent le jeu, baissent les yeux et ferment leur gueule.
Cet article fait partie d’une série sur le thème : “Ecrire en féministe”.
Je ne prétends avoir compris ce qu’est “l’écriture féministe™”, mais j’ai envie de vous dire comment je façonne, moi, mon écriture féministe.
C’est une série qui devrait intéresser les personnes qui écrivent, bien sûr, mais aussi toutes celles qui lisent des textes féministes (=vous, je vous connais !).
On a déjà couvert pas mal de terrain avec les premiers posts :
vous m’avez demandé de créer un atelier d’écriture “Ecrire en féministe”… pourquoi c’est non.
7 clichés sexistes et vicieux (ce post a suscité un commentaire qui est un MONUMENT de masculinité fragile et ça me rend un peu fière j’avouuuuue)
Mais on ne va pas s’arrêter là !
Voici les articles croustichocs qui vous attendent :
Peut-on écrire à propos de vécus qui ne sont pas les nôtres ?
Ecrire féministe = écrire à plusieurs (+ comment faire concrètement)
pour finir, je vous proposerai des recommandations qui nourrissent mon travail d’écriture dans une perspective féministe. Films, livres, podcasts et infolettres…
D’habitude, je restreins l’accès de ce genre de série thématique aux personnes qui me soutiennent financièrement.
Exceptionnellement, tous les articles de la série seront offerts.
Pour que ce sujet circule le plus largement possible.
Alors n’hésitez pas à le faire suivre à vos copines avec qui vous aimez râler sur les clichés que vous avez repérés à la sortie du ciné :)
Un immense merci aux personnes qui, par leur soutien financier, rendent ce geste possible 💜
P.-S. : Précision importante - si votre projet d’écriture met en jeu d’autres personnes que vous (par exemple, vous voulez parler de violences qu’un membre de votre entourage a commises à votre encontre), attention.
Je vous encourage à dire votre vérité mais aussi à vous protéger, car il y a un risque d’attaque en diffamation.
Il peut donc être préférable de ne pas utiliser les noms réels et, plus globalement, de ne pas donner d’éléments susceptibles de faciliter l’identification de la personne dont vous parlez.
Tellement passionnant et juste : que dire nos endroits de silence soit forcément des lieux d’indignité. Merci merci merci !
Hyper intéressant, comme toujours, merci Louise. Quand j'ai lu le titre de cette newsletter, j'ai cru que ça allait parler de complètement autre chose : le fait que parler de notre intimité et de nos pensées et de nos angoisses peut être indécent par rapport à ce que vivent d'autres gens. Moi c'est de cette indécence dont j'ai le plus peur : mon écriture intime pourrait difficilement être publiée, car je parle de ma peur de l'avenir, du basculement que j'ai l'impression d'être en train de vivre, et je sais que cette impression de basculement est liée à ma condition de femme blanche privilégiée par plein d'aspects, qui m'ont permis de vivre très confortablement pendant plein d'années, et d'avoir peur seulement maintenant alors que j'aurais aimé me rendre compte plus tôt de ce que vivaient plein de gens écrasés par le poids de domination que je ne connais pas. Je l'ai écrit, ici, pour le test, et je trouve ça grotesque ahah ! Comme si j'essayais de me justifier et de prouver quand même que j'étais une bonne personne pas complètement égocentrique et déconnectée. Indécente quoi ! Je trouve que toi tu arrives bien à trouver ce juste milieu dans tes lettres, mais c'est pas facile.