Donald Trump a été élu Président des Etats-Unis.
Il y a quelque chose en moi qui refuse de comprendre que des dizaines de millions de personnes choisissent un violeur corrompu pour diriger leur pays et les représenter à l’international.
Dans ma tête, je sais. Je sais que nos sociétés adorent les hommes providentiels aux idées simples et violentes. Je sais que, pour une bonne partie des électeurices, ce sont la misogynie et le racisme qui ont joué à plein contre Kamala Harris. Je sais que, pour d’autres, le vote pour Harris a été rendu impossible par la faillite morale absolue des Démocrates, qui continuent de soutenir le génocide en cours à Gaza et ont pris des positions indignes sur les droits des personnes trans.
Dans ma tête je sais mais dans mon cœur, je n’y arrive pas. Une espèce de naïveté, un truc qui résiste.
Ce que je crois, en revanche, c’est que les électeurs de Donald Trump ne sont pas tous des cons.
J’aimerais bien, évidemment.
Pouvoir balayer le truc comme ça, d’un revers de la main. Renvoyer toute cette affaire à une histoire d’intelligence et de bêtise.
“Quels gros cons, ces électeurs de Trump”.
“Quels gros cons, ces électeurs du Rassemblement national.”
Mais le mépris, ça ne m’a jamais paru tellement pertinent, comme stratégie politique.
Quand j’ai vécu des agressions misogynes ou lesbophobes et que j’en ai parlé avec des personnes non concernées, elles avaient toujours la même réaction : “ah, ce sont des cons…”.
Ces mots se voulaient gentils. Soutenants.
Ils me hérissaient le poil. Rien qu’en les écrivant, je serre les mâchoires de nouveau.
Non, ce ne sont pas “des cons”.
Ramener ces agressions ou le vote fasciste à des histoires de “bêtise”, c’est les faire sortir du champ politique.
C’est nous condamner à ne pas les combattre efficacement.
Car pour les combattre, il faut au contraire les prendre au sérieux.
Il faut au contraire voir l’étendue de la menace. Il faut prendre conscience de l’extrême efficacité des machines de propagande fascistes qui sont déjà à l'œuvre. Il faut analyser les ressorts intellectuels et émotionnels du vote pour Trump ou pour le RN.
Un de ces ressorts, c’est justement le mépris de classe.
En partie du fait de la propagande d’extrême-droite financée par certains des hommes les plus riches de la planète, et en partie en raison de ses propres carences, la gauche est devenue pour beaucoup de gens le synonyme d’élites déconnectées du réel – à tel point qu’un milliardaire corrompu ou l’héritière d’un parti politique qui n’a jamais eu un seul “vrai boulot” dans sa vie arrivent à passer pour des figures plus proches de Monsieur-Tout-le-Monde.
Si on est de gauche et qu’on veut inventer un futur différent de celui que nous proposent les fachos, nous rouler dans un sentiment de supériorité morale c’est tout sauf la priorité du moment.
Car c’est à ça que sert le mépris. Le mépris sert à nous rassurer, nous.
Le mépris nous permet de tracer une ligne imaginaire dans notre tête, qui sépare bien nettement les Bons des Méchants.
On érige un mur de béton et on se place au passage du bon côté, quitte à faire.
Je n’ai pas confiance dans les gens qui disent “quels gros cons” parce que je n’ai pas confiance dans les gens qui pensent que la lesbophobie, la misogynie, le racisme… ne les concernent pas.
Je n’ai pas confiance dans les gens qui pensent que la tentation fasciste ne les concerne pas.
Méfions-nous du mépris.
Cet article fait partie d’une série d’articles sur nos émotions et leur lien avec la pensée et l’action politiques.
Déjà 4 épisodes !
Les précédents :
le besoin de se protéger et de se reposer pour agir efficacement ;
Le confort : l’action militante doit-elle forcément être inconfortable ?
Les prochains posts porteront sur :
la culpabilité et la honte, qui posent la question de la responsabilité individuelle face aux violences systémiques ;
la tristesse : et si ce n’était pas un truc plombant à éviter comme la peste, finalement ?;
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A très vite.
Concernant l'électorat de Trump, j'ai trouvé passionnantes les publications de Lumir Papray sur Insta, qui est allée à la rencontre d'une partie de cet électorat. Et ça montre combien on (en tous cas moi) connaît mal les enjeux de vie et d'identité d'un pays bien différent du nôtre. Ça permet de comprendre.
Après, ça n'en est pas moins effrayant.
Et le parallèle reste réel pour comprendre combien il va falloir construire des propositions valables pour ne pas vivre la même chose.
Toujours aussi fan de ta plume et de ton propos. Merci 🙏.