Amoureuse ou insécure ?
Avez-vous envie d’aimer ou bien besoin d'être validée ?
Pendant longtemps, j’ai confondu attirance romantique et insécurité affective.
J’ai confondu l’amour et le besoin de validation.
Je pensais que quelqu’un m’attirait quand la personne me mettait au sous-sol de l'insécurité sur le plan émotionnel. Double shot d'adrénaline : le premier quand j'étais terrifiée d'être rejetée, le deuxième quand cette personne finissait par me valider.
C'était ça, les fameux papillons dans le ventre, non ?
(Non.)
Quand j’ai commencé à explorer mon désir pour des femmes, j’ai remarqué que les personnes sexisées ne me plongeaient pas, en général, dans le même état d’anxiété généralisée que les hommes cis-het.
Il y avait d’autres trucs qui me stressaient, évidemment, en particulier sur le plan de l'intimité sexuelle – j’en ai déjà parlé ici et là.
Mais au niveau émotionnel, je n’avais pas du tout la même inquiétude de plaire… ni le même high quand une meuf s'intéressait à moi, que quand c'était un mec jugé désirable qui le faisait.
On pourrait penser que c'était une bonne nouvelle : moins d'anxiété, hourra !
Eh bien non, pas vraiment. Au contraire, ça m'a fait paniquer.
Comme je ne me mettais pas dans des états obsessionnels à la moindre rencontre un peu chouette avec une inconnue, je pensais que ça voulait dire que je n'étais pas vraiment attirée par les personnes sexisées.
Bref, j'étais totalement paumée.
J’ai même largué une personne avec qui j’adorais passer du temps, avec qui tout était simple, joli, drôle et tendre, le genre qui te fait sourire jusqu’aux oreilles dès que tu te trouves dans la même pièce qu’elle… parce que je ne crevais pas d’angoisse avant de la voir. (Rassurez-vous : j’ai fini par réaliser que je délirais complètement. On est ensemble depuis maintenant quatre ans.)
On pourrait psychologiser ça, faire porter le chapeau à mon pattern d’attachement désorganisé. Ce ne serait pas entièrement faux - je veux dire, j’ai une propension à me rapprocher des gens pour ensuite m’enfuir à toutes pattes (et vice-versa) qui ne vient pas de nulle part. Sorry Mommy sorry Daddy but yes: this is your fault.
Cependant, se limiter à une explication individuelle, ce serait passer à côté d’un autre (gros) facteur : l'hétéropatriarcat.
Déjà, on nous apprend à confondre amour et violence.
On nous matraque de représentations dans lesquelles l’amour, toujours passionné, se joue forcément sur le mode de la destruction mutuelle ou a minima de la souffrance. Je veux dire, on vit littéralement dans un monde où le viol est érotisé. Où sont les histoires d’amour a la fois tendres, joyeuses, respectueuses et pleines de fougue ?
Plus pernicieux : on nous montre, insidieusement, que notre valeur se joue à travers la validation masculine.
Il faut être désirée par un homme pour exister pleinement. Se plier aux règles de la séduction pour gagner le droit d'être considérée.
Quand on date un type dans un cadre hétéro, ce qui se joue dépasse le strict cadre de la relation en elle-même : implicitement, c’est notre valeur qui dépend du regard qui est posé sur nous. Ça crée souvent une insécurité abyssale pour les meufs dans les relations hétérosexuelles.
A mon sens, quand un mec cis-het reproche à une meuf de s’investir trop vite et trop fort dans leur relation amoureuse (schéma que je vois se répéter à l’infini autour de moi), il a en fait raison.
Les femmes heteras sont souvent surinvesties dans les relations amoureuses par rapport à leurs chances réelles (je veux dire : réellement faibles) de tomber sur un gars capable d’entendre leurs besoins et d’y répondre. Si elles sont féministes, ça se rapproche carrément d’une mission impossible.
Mais ce surinvestissement ne tombe pas du ciel et il n’a rien d’irrationnel.
Au contraire : c’est la conséquence logique d’une société patriarcale où une femme sans homme n’est plus tout a fait une femme, et peut-être même pas tant une vraie personne. Ça rendrait anxieux·se n’importe qui.
C’est un truc que j’ai réalisé en lisant l’essai de Christine Murhula, Amours silenciées (ed. Daronnes), où l’autrice met l’accent sur la difficulté de s'émanciper de la validation masculine quand celle-ci paraît hors de portée – ce qui peut être le cas pour les femmes noires.
Ses mots ont immédiatement résonné.
Oui : la validation masculine est un rouage essentiel de l’hétéropatriarcat. Et un gros angle mort de mes analyses sur la sortie de l’hétérosexualité.
C’est en lisant Murhula que je me suis rendu compte que, pour ma part, je suis devenue lesbienne au moment où j’avais eu ma dose de validation masculine. C’était une période où j’ai couché avec tout un tas de types censés être super désirables ou bien inaccessibles : une prouesse pour une meuf qui a grandi dans un monde lui répétant qu’elle était laide comme un pou (vous vous souvenez ? au lycée c’était lunettes, acné, trop grande, trop molle et trop carrée).
On notera au passage que je n’ai jamais eu autant de succès avec les mecs hétéros que durant les deux ans où j'étais au plus bas émotionnellement, en dessous de mon poids de forme parce que j’allais mal, et assez instable… C’est marrant, on dirait presque qu’ils kiffaient ma fragilité davantage que ma puissance.
Une fois ces mecs obtenus, j’ai pu – enfin – cocher la case. Et tourner la page.
Parce qu'évidemment, la validation masculine disparaît dans un cadre lesbien.
Attention, ça ne veut certainement pas dire qu’on est au pays des Bisounours et que les dynamiques de pouvoir disparaissent pour de bon : il y a plein d’autres formes de hiérarchie sociale et de violence symbolique qui se jouent entre lesbiennes, en particulier autour du racisme, de la transphobie et de la grossophobie – et même au niveau de la coolness (comme des ados de treize ans, oui oui).
Néanmoins, de fait, la validation masculine est absente des relations saphiques.
C’est souvent présenté comme libérateur.
Et oui, bien sûr, c’est génial… mais on oublie presque toujours de dire que c’est aussi extrêmement déstabilisant.
Parce que ça implique de construire un désir qui n’est plus nourri par le besoin de validation, ou pas de la même façon.
Un désir dont le premier moteur n’est plus l'insécurité et le besoin irrépressible d'être rassurée.
Ce n’est pas forcément facile. Ça prend du temps.
Du coup, je pose la même question à toutes les meufs qui m'écrivent pour me dire qu’elles ont envie d’explorer leur désir pour des meufs, mais qu’elles n’ont pas l'étincelle.
“C’est de l'étincelle du désir dont tu parles, ou celle de la validation hétéro-masculine ?”
P.-S. : envie de vous procurer le bouquin de Murhula dont je parle ? C’est par ici :
Et je l’ai présenté plus longuement là.
P.-P.-S. : pour une histoire d’amour heureuse, charnelle et sans souffrance érotisée, on m’a beaucoup recommandé Les nuits bleues d’Anne-Fleur Multon (aux éditions de l’Observatoire). Pas encore lu mais je n’en entends que du bien !
P.-P.-P.-S. : ce texte est le dernier de ma série sur l’amour. Cette approche thématique autour d’un même sujet pendant plusieurs semaines me plait bien, j'espère qu’à vous aussi. Du coup on va continuer comme ça pour les prochains mois, avec un thème par mois.
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C’est génial merci
Merci pour la newsletter. J'ai eu une analyse similaire mais un parcours différent.
Pour les sujets. Je réfléchis souvent au repos. Comment se reposer dans ce monde capitaliste, élitiste? Je me rends compte que je me mets même la pression dans mes pratiques créatives etc... J'ai une maladie chronique et je dois pas mal me reposer et c'est compliqué.... Bref le sujet m'intéresse!