Vous vous diriez plutôt extraverti·e ou introverti·e ?
Pour ces deux mots précis, les définitions les plus littérales me paraissent aussi les plus riches :
extraverti·e, “personne dont le comportement est tourné vers le monde extérieur, qui recherche les échanges avec les autres”,
introverti·e, “Porté à l'introversion, à vivre centré sur soi-même, ce qui, avec un repliement sur soi plus ou moins important, entraîne à se détourner du monde extérieur.”
(Elles viennent de mon dictionnaire préféré, dont le nom est aussi poétique que l’interface est pourrave : le Trésor de la langue française informatisé. Avouez que ça a de la gueule.)
Moi, très longtemps, je n’ai pas su quoi répondre à cette question.
Pour avoir vécu une forme d’isolement pendant quelques années de ma vie, je mesure mon besoin de contact, d’affection, d’être entourée d’amour et d’attention. J’aime parler, rire, partager.
Et puis je me méfie de ceux et celles qui prétendent mépriser la compagnie de leurs semblables : iels me font penser à l’auteur de Walden ou la vie dans les bois, qui a écrit tout un livre autour de la profondeur de sa solitude alors qu'il “allait tous les jours à Concord voir ses amis et que les bois étaient fréquentés et exploités” (citation extraite de la page Wikipédia de l’ouvrage). Je serais très curieuse de savoir qui préparait la popote et lavait les chaussettes de ce bon vieux Thoreau pendant qu’il dissertait en long et en large sur la Nature, et ça ne me surprendrait pas que sa splendide “solitude” ait été permise par le travail invisible de personnes qui n’avaient pas ce luxe.
Thoreau, c’est lui :
Mais c’est vrai aussi que les autres me font souvent peur, que les interactions m’épuisent vite et que les groupes ne m’intéressent pas. Parce que j’y repère à chaque fois des dynamiques de pouvoir d’autant plus violentes qu’elles sont tacites.
Plus je vieillis et plus je me dis : oui, bon, introvertie.
Je chéris le temps que je passe seule, qui occupe une proportion de plus en plus importante de mes journées au fil des années.
D’ailleurs, mes deux activités préférées, depuis toute petite, sont plutôt solitaires. Lire et écrire.
J’aime la conversation silencieuse que permet un livre.
J’aime aussi la quête solitaire du mot juste dans l’écriture.
Et pourtant, toute introvertie que je suis, j’essaie de faire entrer d’autres voix, d’autres mondes que les miens dans l’écriture.
Parce qu’écrire en féministe, je crois que c’est aussi se défaire du mythe de la toute-puissance de l’auteur de génie.
Et donc, essayer de faire entrer d’autres personnes dans le jeu de l’écriture.
Attention, pas en s’appropriant des vécus de domination qu’on ne connait que de loin, comme on en discutait la dernière fois.
Concrètement, ça peut prendre plein de formes différentes, où la participation de l’autre est plus ou moins forte, plus ou moins visible aussi :
participer à des ateliers d’écriture,
lire d’autres féministes, se laisser traverser par leur style et leurs idées, et les citer là où on a été inspirée,
se faire relire par des personnes différentes de nous,
être suivie dans le processus d’écriture par une personne donnée.
De mon côté, il y a un peu de tout ça : je participe régulièrement à des ateliers, je lis beaucoup et j’essaie de rendre à Audre ou à Donna ce qui leur reviennent, je parle de l’écriture de mon roman à une personne qui m’accompagne individuellement, et je fais relire mes manuscrits.
Evidemment, faire tout ça c’est aussi un risque.
Ce n’est pas anodin. Ca pose des questions délicates.
Par exemple :
Est-ce que vous avez les moyens de payer ? Souvent c’est difficile, déjà que l’écriture ne rapporte rien, on n’a pas forcément le budget pour rémunérer un accompagnement individuel ou bien la relecture, mais alors qu’est-ce qui se joue de don et contre-don dans ce travail gratuit ?
Jusqu’où vous prenez l’avis de la personne ? A quels endroits vous décidez de ne pas l’écouter ? Qu’est-ce qui peut se jouer de violent dans le faire d’ouvrir son écriture… jusqu’à un certain point seulement ?
A l’inverse, qu’est-ce que vous faites du risque de commettre un plagiat ou du moins de la vampirisation ? A quels endroits c’est beau de s’inspirer de quelqu’une et à quel moment on tombe dans quelque chose de l’ordre de la dépossession ?
Comment vous créditez les personnes qui traversent votre travail d’écriture ? Dans les remerciements ? Ailleurs ?
De qui vous choisissez de vous entourer dans l’écriture ? Comment vous faites pour que ces personnes ne soient pas triées sur la base de l’entre-soi ?
Toutes ces questions sont ouvertes pour moi.
Non seulement, comme je l’ai dit et répété, je n’ai pas de réponse toute prête à vous apporter sur ce qu’est “l’écriture féministe” en général, juste des positions qui m’appartiennent, mais sur ce sujet, même en ce qui me concerne juste moi, j’avance très à tâtons.
Tout ce que je sais, c’est que c’est un risque qui, pour moi, vaut la peine d’être pris.
Cet article clôt la série sur le thème : “Ecrire en féministe”.
C’est une série qui devrait intéresser les personnes qui écrivent, bien sûr, mais aussi toutes celles qui lisent des textes féministes (=vous, je vous connais !).
Voici les posts précédents :
vous m’avez demandé de créer un atelier d’écriture “Ecrire en féministe”… pourquoi c’est non.
7 clichés sexistes et vicieux (ce post a suscité un commentaire qui est un MONUMENT de masculinité fragile et ça me rend un peu fière j’avouuuuue)
situer son regard, ça veut dire quoi ? (feat. le chien Cayenne trop mignon)
D’habitude, je restreins l’accès de ce genre de série thématique aux personnes qui me soutiennent financièrement.
🎁 Exceptionnellement, tous les articles de la série vous ont été offerts 🎁
Alors n’hésitez pas à le faire suivre à vos copines avec qui vous aimez râler sur les clichés que vous avez repérés à la sortie du ciné :)
Et si vous vous abonniez ?
Pour 60 euros par an, soit 5 euros par mois seulement, vous rendez possible une pensée féministe, nuancée et indépendante des algorithmes…
eeeeeeet vous avez accès à 12 ateliers d’écriture par an.
Bingo !
(Le prochain atelier d’écriture aura d’ailleurs lieu mercredi 12 mars à 12h, je vous en dis plus dimanche.)
Un immense merci aux personnes qui, par leur soutien financier, rendent tout ça possible 💜
Thoreau retournait chez sa mère se faire laver son linge il me semble 🤓
Cette série d’articles est vraiment passionnante ! Merci ! Les dernières questions résonnent bcp (sur l’entre soi qu’on recrée par exemple etc)
Merci pour cette série. Introvertie assumée -mais qui apprécie les autres quand leur présence est choisie- je trouve très complexe de s'entourer pour écrire. J'ai envie d'écrire à plusieurs - me faire relire/ accompagner et relire/accompagner-, mais je trouve difficile de trouver la/les personnes avec qui le faire de manière professionnelle. Un prochain chantier :)