J’ai évoqué, il y a quelques semaines, tout ce qui pouvait expliquer qu’on ait tellement de mal à parler de la lesbophobie — en particulier, la banalité des violences faites aux femmes.
Dans un pays où on compte déjà 57 féminicides à la moitié de l’année, quelques insultes lesbophobes ça peut paraître presque gentillet.
Je crois aussi que souvent, les gens qui ne sont pas concernés ne savent pas vraiment de quoi il s’agit.
Ils s’imaginent des inconnu·es qui guettent, au détour d’une ruelle sombre, pour nous casser la gueule.
Ça arrive, bien sûr.
La violence physique existe encore, en particulier à l’encontre des lesbiennes dont l’expression de genre est plus masculine. Parfois jusqu’aux pires extrémités
Mais souvent, la lesbophobie est plus insidieuse. Plus perverse.
Au point qu’on finit par se demander, nous les lesbiennes, si ce n’est pas nous qui exagérons. On finit par se dire que c’est nous qui avons mal compris. Mal entendu.
Alors aujourd’hui, je voudrais vous donner des exemples concrets de ce à quoi ressemble la lesbophobie dans ma vie.
Et j’invite les personnes concernées à compléter cette liste avec leurs propres exemples en commentaire, parce que le vécu de la lesbophobie est propre à chacun·e.
La lesbophobie dans ma vie, concrètement c’est quoi ?
(Liste non exhaustive, rédigée par une lesbienne blanche, cisgenre, valide et mince)
Ce sont des inconnus, dans la rue, qui demandent : “qui fait l’homme ?”
Ce sont des inconnus, en soirée, qui nous proposent un plan à trois quand ils nous voient nous embrasser.
Ce sont des proches qui essaient de se rassurer : « non mais attends, tu vas revenir vers les hommes, ça va passer ». « Tu as été hétéro vingt-huit ans, faut pas chercher midi à quatorze heures, tu es hétéro et puis c’est tout ».
C’est le regard d’une femme qui s’appesantit un peu trop sur moi quand je joue avec sa fille de sept ans, comme si elle craignait que je la convertisse… ou pire encore.
Ce sont toustes celleux qui n’arrivent pas a prononcer calmement le mot “lesbienne”, parce que ce terme leur semble sale, bizarre, un peu pervers.
C’est ce chauffeur de taxi qui nous demande : “non mais franchement, dites-moi, j’ai jamais compris, comment vous faites l’amour sans homme entre vous ?”
C’est le silence assourdissant de toustes quand, lors d’un déjeuner de famille, ma nièce et mon neveu de cinq ans hurlent qu’on peut pas être en couple, avec B, que “femme contre femme, ça marche pas”, et que personne ne prend la parole pour les contredire, leur expliquer, nous protéger.
Ce sont ces journalistes ou auteurices que je rencontre à l'occasion d’un festival, qui me demandent sur quoi j'écris… Puis détournent les yeux dès que je prononce le mot “lesbianisme”.
C’est leur moue, à mi-chemin entre la gêne et le dégoût, comme si j’avais parlé de la consistance de mes selles ou d’un penchant pour le porno hardcore.
C’est un membre de ma famille qui me dit, le jour de mon mariage, concernant le couple que je forme avec B : “mais nous on trouve que c’est bien que nos enfants voient ça ! c’est bien qu’ils y soient confrontés ! même si c’est pas forcément facile de les exposer à quelque chose qu’on n’aime pas…”
C’est cet homme qui m’approche en soirée gay et me lance “vieille gouine !” avant de repartir.
C’est ce proche qui avoue : « c’est vrai, je n’ose pas trop te demander des nouvelles de ta meuf parce que… je suis un peu mal à l’aise. J’ai l’impression que les lesbiennes ne sont pas très joyeuses. Pas très heureuses ».
C’est un autre qui m’explique : « je ne lui ai pas dit que tu étais… euh… parce que, tu comprends, un homme de sa génération… j’ai peur que ça le blesse ».
C’est la main de B qui se crispe imperceptiblement dans la mienne quand nous croisons un regard malveillant, qui nous scrute et éructe une insulte.
C’est le doute.
Oui : le plus dur, pour moi, c’est le doute permanent.
Ne jamais pouvoir anticiper comment la personne va réagir quand elle va comprendre que…
Ne jamais savoir si ce type est odieux avec nous juste parce qu’il est de mauvais poil, ou parce que nous sommes lesbiennes.
Le plus dur, c’est de sentir le poids des regards de ce groupe devant lequel nous allons passer en nous tenant la main, et de ne pas savoir s’ils vont juste nous regarder avec un œil égrillard, ou bien nous insulter, ou bien…
Le plus dur, c’est de se préparer au pire tout le temps.
Cet article est le quatrième d’une série “Mois des fiertés” (en Allemagne, où je vis, le mois des fiertés c’est en juillet !).
Cette série est consacrée à la lutte contre les queerphobies, en particulier la lesbophobie.
Les précédents épisodes :
Vous aussi, vous avez scandé « Stonewall était une émeute » ?
3 raisons pour lesquelles on peine à parler de la lesbophobie
On va aussi parler, dans les semaines à venir :
du conseil à ne surtout pas donner si quelqu’un·e vous rapporte une agression lesbophobe (et ce que vous pouvez faire & dire à la place) ;
d’un super bouquin qui permet d’examiner en détail une des pires manifestations d’homophobie et de lesbophobie de l’histoire française contemporaine (vous voyez de quoi je veux parler ?) ;
et on finira avec de joyeuses recommandations culturelles gouines. Parce qu’on n’a jamais assez de propagande lesbienne dans sa vie !
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P.-S. : comme indiqué au début de l’article, si vous êtes concerné·e et que vous avez envie de témoigner, n’hésitez pas à laisser un commentaire.
P.-P.-S. : quelques ressources complémentaires sur la lesbophobie :
L’Observatoire de la lesbophobie fait un énorme travail de visibilisation du sujet ;
Si vous parlez allemand, ce documentaire sur les queerphobies est super (“Hass Gegen Queer”), avec une prise en compte des différentes formes de queerphobie et en particulier, de la lesbophobie ;
La LIG — Lesbiennes d’Intérêt Général — a été créée “pour financer les initiatives, encourager les projets et agir pour notre affirmation individuelle et collective !”. Le fonds, géré de façon bénévole, finance des tas d’initiatives enthousiasmantes.
Lutter contre la lesbophobie, c’est aussi permettre à celles qui en sont victimes d’avoir un toit sur la tête : le Front d’Habitat Lesbien (financé par la LIG !) est une association œuvrant “pour permettre à toute lesbienne et personne trans défavorisée d'accéder à un logement décent et une vie digne”.
P.-P.-P.-S. : unsolicited opinion - le verbe “allécher” est sous-coté et devrait être beaucoup plus utilisé.
J’ai vécu chacune de ces situations. Le doute et la peur finissent par se faire oublier tant cela est présent.
Il y a quelques années une vendeuse a reculé de deux pas quand je lui ai dit que je cherchais un cadeau pour ma femme. Elle a balbutié « votre… votre… oh non ! Je ne peux pas dire le mot… ».
À nouveau célibataire, je raconte à une amie de longue date qu’un homme m’a abordé et que ce qu’il m’a dit m’a touchée, a regonflé mon ego. Mais j’ai conclu la conversation avec cet homme en lui disant que je suis lesbienne et qu’il ne se passerait rien d’amoureux entre nous. Mon amie s’est exclamée « Enfin, un petit effort ! Je te rappelle que tu as un passé hétérosexuel quand même ! ». Je pense que notre amitié a atteint ses limites.
L’enquête européenne sur la queerphobie c’est maintenant : https://www.lgbtiqsurvey.eu/lgbtiq/?fbclid=IwAR1OJkayfCjYYCzGbdhCLg32PbebSid88r04fb_1ByptfjkwaIPyRJdw8uY_aem_AfvWca0J6G0Uk09bFamkgdqAGJaxxIRqAxUW38lkZs2UeTIP12ntD-ioBO1XC-uyWvE