Récemment, une copine est venue prendre un verre à la maison.
On a discuté plus longtemps que prévu et, au moment de rentrer chez elle, elle avait faim.
Alors je lui ai proposé un fruit facile à éplucher et à emporter, que j’ai presque toujours chez moi : une banane.
“Non, surtout pas !”
J’étais surprise par la façon dont ses sourcils se sont froncés, dont son visage s’est brusquement détourné.
Allergie ? Dégoût personnel ?
Nope.
Elle m’a expliqué que là d’où elle vient, en Équateur, la production de bananes profite à une poignée de familles très riches et s’appuie sur l’exploitation de travailleureuses dans des conditions indignes.
En gros, bananes = mafia.
Booooon.
Le petit fruit jaune que je tenais dans la main m’a soudain paru très lourd.
(Et je lui ai proposé anxieusement tous les autres fruits que j’avais en ma possession, ce à quoi elle a gentiment mais fermement répondu qu’elle allait survivre aux 20 minutes de trajet jusqu’à chez elle sans mourir d’inanition.)
Après le départ de mon amie, je me suis observée avoir une réaction assez défensive, en mode :
“Oh mais moi j’aime les bananes !!
“Comment ferais-je sans bananes ?? est-ce qu’on y pense à ça, einh, je vous le demande ??!
“Je suis condamnée à ne manger que des carottes et des navets qu’on fait pousser dans une ferme collective avec Guillaume qui sort sa putain de guitare autour du feu, C’EST CA ???”
(Pardon, private joke.)
Les smartphones et les réseaux sociaux, je trouve que c’est un peu comme les bananes.
Au sens où, si tu creuses un tout petit peu, tu sais qu’il y a rien qui va — ni dans leurs conditions de production, ni dans la façon dont on les utilise, ni dans les gens à qui ça profite.
Et c’est pas non plus un truc vital. Techniquement, on pourrait vivre et même très bien vivre sans bananes et sans smartphones.
Et pourtant, je trouve ça dur d’y renoncer.
Il y a une partie de moi qui rêve de jeter mon smartphone et de prendre un “dumbphone”, un téléphone super basique comme celui sur lequel j’écrivais des SMS énamourés à mon premier petit copain en 2007.
Rien qu’en l’écrivant, mon cœur bondit : OUI !! FAIS-LE !!
Et tout de suite après, mon cerveau panique : mais comment je fais ?
Comment je fais pour accéder à mes comptes bancaires en ligne ? Comment je fais pour me repérer dans la ville, moi qui me perd tout le temps ? Comment je fais pour rester au courant des actualités queers et militantes, qui me parviennent essentiellement via Meta ?
Bref, pour l’instant, je nage avec délice dans les eaux troubles et glaciales de la dissonance cognitive.
Je ne me vois donc pas vous faire de grands discours enflammés.
Je voulais juste faire passer quelques infos que j’ai trouvé utiles pour tenter de limiter l’emprise des fachos de la tech sur nos vies : 5 gestes simples et rapides qui, mis bout à bout, peuvent faire une vraie différence.
Mais avant ça, sans doute le truc le plus important : un changement d’état d’esprit.
Je veux dire par là : on doit désormais partir du principe que tout ce qu’on dit ou fait sur Internet peut être et sera retenu contre nous.
Ne pensez pas “oh mais ça va, j’ai rien à cacher”.
Personne n’a rien à cacher en régime fasciste.
J’insiste : littéralement personne.
Si vous avez déjà formulé une analyse ou une blague politique à l’écrit à votre famille ou vos amis, vous avez quelque chose à cacher. Récemment, un chercheur français s’est vu refuser l’entrée des Etats-Unis parce qu’il avait critiqué Trump dans ses messages privés.
Si vous avez déjà fait une recherche Google qu’on pourrait juger étrange, vous avez quelque chose à cacher.
Comme nous y incite Carole Cadwalladr, une journaliste d’investigation qui a notamment révélé le scandale Cambridge Analytica/Facebook :
“Think of your personal data as nude selfies. (…) Think what a hostile legal team would make of your message history. This can and will happen.”
En français :
“Pensez à vos données personnelles comme si c’était des selfies de vous à poil.
“Pensez à ce qu’une équipe juridique hostile ferait de votre historique de conversation. Ca peut et ça va arriver.”
(Allez lire tout l’article, il est super : en anglais juste ici).
Ceci étant posé, voici 7 trucs simples à faire dans les jours à venir :
Passer de WhatsApp à Signal et utiliser l’option qui fait disparaître les messages automatiquement. WhatsApp = Meta = Mark Zuckerberg = zéro protection des données (ne vous fiez pas au truc qui dit que c’est crypté de bout en bout, c’est méga bidon). Tuto pour configurer les messages éphémères juste ici. Alors, je sais… Moi aussi, j’ai la flemme de dire à tout le monde de passer sur Signal. Mais le jeu en vaut la chandelle.
Supprimer les applications qu’on n’utilise plus ou rarement. Beaucoup d’applications “espionnent” ce qu’on fait en permanence, même si on ne les utilise pas. (Donc, désinstaller WhatsApp du téléphone une fois qu’on est passé sur Signal.)
Si on utilise Instagram : refuser que Meta utilise nos données pour nourrir son intelligence artificielle (cliquez ici) + suivre ce tuto pour limiter le profit que Meta peut se faire sur notre dos.
Supprimer/désactiver l’identifiant publicitaire de votre smartphone (un identifiant unique qui sert à la plupart des applications pour vous tracer et vous proposer des pubs). Ca prend littéralement 2 minutes, je viens de le faire, tuto ici pour Android et Iphone.
Dégager le navigateur Chrome : c’est le navigateur le plus mouchard de l’histoire. Il espionne tout. On peut utiliser Firefox, Brave, Qwant… (sans renoncer au moteur de recherche Google). Perso j’ai choisi Brave parce que j’aime bien leur icône de lion (#priorities) et ça fonctionne sur presque tous les sites.
Installer un VPN : c’est un logiciel qui brouille les pistes entre toi et les sites auxquels tu te connectes. C’est pas très cher, et en plus d’être utile pour protéger nos données, ça permet aussi d’avoir accès à des sites qui bloquent les connexions depuis certains pays.
Ecouter cet entretien avec Shoshana Zuboff, l’autrice qui a pensé le concept de capitalisme de surveillance. Il n’y a pas de jargon inutile, pas de blabla relou, et elle articule le capitalisme de surveillance avec les développements récents de l’intelligence artificielle.
Vous avez une autre idée ? Dites-moi en commentaire.
Si vous voulez juste partager votre ressenti concernant les bananes, c’est très bienvenu aussi.
Cet article fait partie d’une série sur les façons de résister au fascisme et au désespoir.
On a déjà parlé de :
l’écart entre nos représentations du fascisme et sa réalité,
ce qu’il faut avoir chez soi pour ne pas être trop dans la mouise en cas de gros pépin (pas de stocks de papier toilette, je vous rassure),
comment on peut faire communauté sans aller vivre dans une ferme autogérée.
On finira en beauté avec le rôle que peut jouer la spiritualité dans la résistance — ne partez pas en courant, les copaines athéistes militant·es.
Ca vous parle ?
Je vous invite à prendre une souscription premium.
Ici, pas d’algorithme douteux, pas de surveillance de vos données, pas de pub personnalisée.
Une des toutes premières personnes qui s’est abonnée à l’infolettre l’avait formulé hyper clairement, quand je lui avais demandé pourquoi elle s’abonnait :
“Avec une newsletter, l'auteur ou l'autrice n'est pas la seule personne à gagner en indépendance et en autonomie : en tant que lectrice, c'est aussi une façon de reprendre la main sur les informations qu'on souhaite recevoir.”
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Vous aurez accès à tous les articles et aux ateliers d’écriture mensuels (j’envoie très vite le replay du dernier atelier, qui s’est tenu vendredi).
Merci aux nombreuses personnes qui sont déjà engagées à mes côtés.
Je sais que pas mal d’entre vous n’ont pas des moyens illimités, et ça me touche vraiment beaucoup que vous choisissiez de soutenir mon travail malgré tout.
Merci pour ces super conseils ! J'ai l'impression de passer mon temps à être une ultime reloue en disant à mes proches ou aux gens qui me suivaient quand j'étais encore sur insta, qu'il y a des tas d'actions très concrètes qui, certes, peuvent nous enlever un tout petit peu de confort mais pour de grandes avancées et des changements importants au niveau lutte contre le fascisme. C'est usant, d'avoir le sentiment de priver les gens de leur dose de sucre, mais c'est nécessaire, alors merci de le faire, plus ce genre de discours est normalisé et plus, j'espère, à un moment, les gens se diront "ah mais oui c'est vrai c'est simple et ça me coûte pas grand chose".
Ici on vient de quitter gmail et compagnie (agenda et contacts) pour migrer sur Infomaniak (c'est Suisse et étique) et passer de Spotify à Deezer. Ce sont à mon avis des choses faisables mais qui comptent pas mal ^^