Je dois vous avouer un truc.
Il y a quelques semaines, je vous ai proposé un article sur les raisons pour lesquelles il m’est difficile de parler de lesbophobie. Il y en a une que j’ai gardée pour moi, et réservée pour le post que vous êtes en train de lire. (Fourberie d’autrice !)
Vous y avez peut-être pensé, d’ailleurs, surtout si vous faites partie des personnes concernées.
Allez, soyons honnêtes.
Un des trucs qui nous fait réfléchir à deux fois avant de discuter lesbophobie, c’est que les réactions de nos interlocuteurices sont bien souvent…
Insatisfaisantes.
Pour ne pas dire : carrément merdiques.
Parfois, la personne est gênée et fait une moue vaguement compatissante avant de changer de sujet. Dans d’autres cas, elle se met en colère et se met à nous expliquer de façon un tout petit peu trop ostentatoire à quel point la lesbophobie est intolérable et rétrograde, et on a l’impression étrange de se faire passer un savon.
Le plus souvent, on a droit au même conseil.
Formulé en des termes presque toujours identiques.
Le fameux :
“Ne fais pas attention”.
“Ce sont des cons”.
“Ne les écoute pas…”
Or, il se trouve que c’est un très mauvais conseil.
Pourquoi ? Et comment faire mieux ?
D’abord, ce conseil est moisi parce qu’il n’est pas toujours applicable.
Demander à une personne qui subit une attaque lesbophobe de ne plus y penser pour aller mieux, c’est comme demander à quelqu’un qui a la grippe de ne plus penser à ses symptômes pour cesser de les ressentir.
Quand quelqu’un te poursuit dans la rue en faisant des bruits obscènes, ou bien quand un·e proche te déçoit profondément, tu ne peux pas juste décider que ça n'est jamais arrivé.
Le déni a ses limites.
Ensuite, ce conseil est inutile parce qu’il nous incite à adopter un comportement qu’on met déjà en pratique.
Si l’objectif est de nous encourager à poursuivre nos vies sans se laisser arrêter par la première remarque lesbophobe venue : on le fait déjà. On n’a pas le choix.
Si on sanglotait pendant des heures, roulé·e en boule, à chaque fois qu’un connard nous faisait une remarque graveleuse, on ne s’en sortirait pas.
Le récit que nous faisons de la lesbophobie est déjà le produit d’un gros et courageux travail de tri. On a déjà dû apprendre à se blinder, infiniment plus qu’une personne non concernée peut l’imaginer.
Ce n’est donc pas la peine de nous inviter à enfiler une armure qu’on porte déjà, qui pèse vachement lourd, et qu’on voudrait bien pouvoir ôter de temps en temps.
Enfin, ce conseil est nul parce qu’il nous fragilise encore davantage face à la lesbophobie.
Il empêche de penser le caractère systémique des violences subies et de lutter contre leur perpétuation.
En effet, cette réaction invite à considérer les personnes lesbophobes comme des cas isolés, des brebis galeuses un peu bébêtes, en faisant le pari que si on les ignore suffisamment longtemps, elles disparaîtront d’elles-mêmes.
Ce que nous vivons actuellement en matière de mise en danger des droits des femmes, notamment des femmes trans, en Europe et aux Etats-Unis, nous montre que les réactionnaires ne se fatiguent pas d’elleux-mêmes quand on ne les combat pas activement.
Bien au contraire : plus on les ignore et plus iels gueulent fort. Plus on détourne le regard et plus iels rallient des gens à leur cause. Plus on se bouche les oreilles en espérant que tout ça s'évapore et plus on se sent fragile face à la prochaine attaque.
Il faut absolument comprendre que c’est tout un système qui permet à ces personnes de se comporter comme elles le font, sans jamais en payer les conséquences.
Oui, derrière celleux qui nous attaquent, il y a tout un système qui les autorise à le faire. Il y a toustes celleux qui, placides, les regardent nous agresser.
J’ai pu constater de mes yeux et de mes oreilles que presque personne ne réagit quand quelqu’un a un comportement lesbophobe. Personne à part celle qui en est victime, je veux dire.
Tout le monde n’est pas activement lesbophobe, mais presque tout le monde est d’une lâcheté stupéfiante face à la lesbophobie.
Presque tout le monde est d’une lâcheté stupéfiante face à toute discrimination, en réalité – je suis prête à parier que la proportion de personnes non concernées qui réagissent activement et fermement face à une remarque raciste, ou grossophobe, ou transphobe, ou validiste, est assez loin des 100%.
C'est ça, le problème de fond. C’est l’inaction collective.
Plutôt que de demander aux lesbiennes (et autres personnes minorisées) de ne pas faire attention, il faut au contraire que tout le monde apprenne à mieux faire attention.
Plutôt que de mettre toute notre énergie à regarder ailleurs et à nous convaincre que le problème n’existe pas, ou pas vraiment, ou pas aussi grave que ça, il faut qu’on passe plus de temps à tenter de comprendre pourquoi il existe et ce qu’on peut faire, concrètement, collectivement, pour le faire disparaître.
A la place de “ce sont des cons, ne les écoute pas…”, voilà ce que vous pouvez répondre à quelqu’un·e qui vous raconte une agression lesbophobe, en cinq étapes simples :
“Je suis vraiment désolé·e. Je peux te faire un câlin ?” (ou tout autre petit acte simple, approprié au regard de votre relation, et qui témoigne de votre affection)
Si vous connaissez la personne lesbophobe : “Est-ce que tu penses que ce serait utile que je lui en parle ? Que je lui dise que ces actes/propos sont inacceptables et que je te soutiens pleinement ?”
Si vous étiez là et que vous n’avez rien fait : “Je te présente mes excuses pour n’avoir pas réagi. J’aurais dû dire quelque chose. La prochaine fois, je le ferai. Qu’est-ce qui serait le plus utile pour toi dans ce genre de contexte ?” (écoutez la réponse, et tenez votre parole !).
Si vous êtes la personne lesbophobe : “Je vais y réfléchir calmement. On pourrait peut-être en reparler plus tard ? Qu’en dis-tu ?”
Attention, important, n’essayez pas d’expliquer avec indignation à quel point vous êtes ouvert·e d’esprit et trop sympa, même si vous êtes convaincu·e de ne pas être lesbophobe, qu’il y a malentendu, qu’on vous a mal compris·e.
Prenez le temps de vous renseigner, d’en parler avec d’autres personnes concernées. Il faut absolument laisser retomber la vague égotique-défensive, pour pouvoir comprendre en quoi vous avez merdé. Tout le monde peut avoir des comportements ou des propos lesbophobes de temps en temps, because l’hétéropatriarcat. Cela ne veut pas dire que vous êtes une mauvaise personne. Juste que vous avez un angle mort à cet endroit-là (comme on en a toustes, à des emplacements différents en fonction de notre position dans l’espace social et de notre histoire de vie).
Autre écueil à éviter : ne fondez pas en larmes en vous autoflagellant avec ostentation. La personne qui a subi la lesbophobie a fait preuve de beaucoup de courage en prenant le risque de vous en parler : elle n’a pas envie de gérer, en plus, votre culpabilité.
“Ça te dirait que je t’accompagne à la prochaine manif pour la visibilité lesbienne ?”
Bonus points : donnez des thunes à des assos qui luttent contre la lesbophobie et pour la visibilité lesbienne, comme les Lesbiennes d’intérêt général ou l'Observatoire de la lesbophobie.
Cette série est consacrée à la lutte contre les queerphobies, en particulier la lesbophobie.
Les précédents épisodes :
Vous aussi, vous avez scandé « Stonewall était une émeute » ?
3 raisons pour lesquelles on peine à parler de la lesbophobie
Dernier épisode la semaine prochaine : de joyeuses recommandations culturelles gouines !
Et après, je partirai en vacances… Mais pas sans vous faire un petit cadeau, qui devrait particulièrement intéresser celleux d’entre vous qui ont envie de profiter de l’été pour écrire. SUSPENSE !
P.-S. : impossible de faire des articles sur la lesbophobie sans évoquer la terrible situation en Italie, où la mère “non biologique” a été effacée de l’acte de naissance de certains enfants nés dans une famille lesbienne. Cela crée une insécurité juridique extrêmement préjudiciable non seulement aux mères lesbiennes mais aussi à leurs enfants.
L’hypocrisie des homophobes qui nous servent “l’intérêt de l’enfant” à toutes les sauces pour justifier leur haine des familles homoparentales, puis bafouent OKLM le droit fondamental des enfants à vivre dans une relative stabilité, me reste vraiment en travers de la gorge.
Il reste à espérer que les instances européennes condamnent ce geste lesbophobe, au niveau politique (par une prise de parole de la Présidente de la Commission, par exemple) ou juridique (à travers un recours devant la CJUE).
Mais ça va prendre des mois, voire des années… Et pendant ce temps, toutes les mères lesbiennes d’Europe tremblent.
toujours tellement pertinent .. ca (re)met quelques idées en place et en perspective.