Je clos la série d’articles sur ma lecture politique des émotions en vous proposant, comme de coutume, une série de recommandations.
L’idée, c’est d’élargir nos perspectives et de donner à entendre d’autres voix que la mienne.
J’ai essayé de privilégier des œuvres qui ne sont pas encore très connues dans nos cercles féministes.
Cela explique certaines absences qui vont peut-être vous surprendre – comme le livre Joie militante (carla bergman, Nick Montgomery, trad. Juliette Rousseau, éd. du commun, 2021), le dernier essai de Mona Chollet sur la culpabilité, ou encore la newsletter et podcast de la journaliste féministe Lauren Bastide, La Douceur/Folie Douce, qui abordent la santé mentale sous un prisme engagé. Je me dis qu’a priori, vous les connaissez déjà, alors je préfère donner un petit coup de projecteur ailleurs.
Nouveauté par rapport à ce que j’ai l’habitude de faire : j’ai intégré, en sus des propositions d'œuvres culturelles, 3 espaces collectifs.
Vu le thème, je me suis dit que ce serait intéressant d’aller au-delà d’un pur rapport “intellectuel” au sujet.
Je vous propose donc 3 livres, 3 podcasts, 3 films et 3 espaces collectifs sur ce thème.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappels rapides :
n’oubliez pas de commander votre petit cadeau gratuit (2 stickers ou 1 illustration de Clémence Delorme) si vous avez/souscrivez un abonnement payant avant le 6 décembre. Relisez l’email “je déteste le black friday” pour tous les détails.
un atelier d’écriture se tiendra ce jeudi 5 décembre à 18h, sur le thème : écrire à partir d’une chanson. Les abonné·es payant·es recevront automatiquement, jeudi matin, le lien Zoom pour rejoindre l’atelier.
Voilà, c’est tout, retour aux recommandations du jour.
Lire
1. Vivre une vie féministe, Sara Ahmed (éd. Hors d’Atteinte, 2024) - essai
Ce chouette essai articule les aspects émotionnels et concrets d’un itinéraire féministe (le sentiment d’injustice, par exemple), avec une analyse plus théorique. Il m’a donné la sensation rare et précieuse d’être comprise, et de mieux saisir certains aspects de l’expérience des féministes racisées.
Si vous parlez anglais, je vous recommande aussi The Cultural Politics of Emotion, de la même autrice, qui traite des processus par lesquels la société et les hiérarchies qui la sous-tendent produisent certaines émotions plutôt que d’autres, “étiquettent” nos émotions d’une certaine façon plutôt que d’une autre. Par exemple, comment certaines colères vont pouvoir être entendues, et d’autres non.
Attention, je trouve que la langue est parfois ardue. Si vous galérez, ne vous battez pas la coulpe :)
2. Against a loveless world, Susan Abulhawa (éd. Atria Books, 2020) - roman
Je suis embêtée de vous proposer un livre en anglais, mais je voulais absolument vous parler de ce roman et il n’est pas encore traduit – d’ailleurs, si une éditrice passe par là…
On suit la trajectoire d’une jeune femme palestinienne qui s’engage dans la résistance et se trouve emprisonnée (je ne vous spoile rien, le livre s’ouvre sur sa captivité).
Je le trouve particulièrement intéressant sur le lien entre émotions et engagement politique parce que l’autrice met beaucoup de soin à montrer comment son personnage s’ouvre à la politique en même temps qu’elle s’ouvre à l’amour. Ça fait du bien de sortir des fausses dichotomies “personne engagée” Vs. “nunuche amoureuse”.
C’est beau, fort et souvent dur, comme tout texte traitant des réalités palestiniennes.
3. infra/seum, Douce Dibondo (éd. Blast, 2024) - poésie
Ce recueil, c’est “la colère mise en poésie”, d’après sa description sur le site de la maison d’édition.
Vous êtes peut-être surpris·e : je vous disais il y a quelques semaines que la colère, j’en suis relativement lasse.
Mais je trouve justement que la forme poétique est peut-être la seule langue qui permette d’en dire quelque chose d’intéressant – par l’ambivalence qu’elle encourage, on évite le piège de l’indignation trop sûre d’elle-même. A offrir à votre pote qui ne se met jamais, ou tout le temps, en colère.
Ecouter
1. mūsae (podcast indépendant)
Un podcast créé par Christelle Tissot qui “dédramatise et démocratise la santé mentale pour les jeunes générations”.
Je vous recommande particulièrement les derniers épisodes qui abordent frontalement la question du lien entre nos émotions et notre vécu politique, par exemple : Anxiété électorale, colère: comment tenir face au fascisme ? ou encore Santé mentale, capitalisme et performance.
J’ai moi-même eu le plaisir de participer au podcast, dans un épisode consacré à l’écriture dite “thérapeutique”.
2. encore heureux (Binge audio)
Un podcast de Camille Teste, qui affiche l’ambition simple mais vaste de “parler de santé mentale”.
Concrètement, chaque épisode pose une question un peu provoc’ et prend soin d’y répondre sans oublier la dimension systémique des enjeux de santé mentale.
Si vous ne savez pas par où commencer, je vous invite à écouter d’abord l’épisode sur le plaisir avec Chloé Lécrivain.
3. Présages, Lutter ou être heureuse, faut-il choisir ? (podcast indépendant)
Ce podcast parle d’écologie politique à travers des entretiens intéressants et souvent pointus. J’ai adoré l’épisode “Lutter ou être heureuse, faut-il choisir ?”, qui donne à entendre une discussion entre Fatima Ouassak, politologue et militante antiraciste et féministe française, fondatrice du Front de mères, Tom du Collectif Vietnam Dioxine et Alessandro Pignocchi.
Voir
1. Rebel Dykes (Harri Shanahan, Siân A. Williams, 2021)
Un documentaire hyper attachant qui revient sur le militantisme et les amitiés d’un groupe de gouines post-punk dans l’Angleterre des années 1980.
Un énorme shoot d’énergie, d’amour et d’humour qui vous met des étoiles dans les yeux et vous donne envie d’ouvrir un club BDSM lesbien avec vos copines (mais si, mais si).
Tiens, rien que d’en parler, j’ai très envie de le revoir.
2. Sambre (Jean-Xavier De Lestrade, 2024)
Cette série disponible sur France TV, glaçante et inspirée d’une histoire vraie, expose les mécanismes qui rendent possible une longue, très longue série de viols par un “bon père de famille” que personne ne soupçonne malgré l’évidence.
Elle montre aussi très clairement à quel point les émotions des femmes victimes de viol ne sont pas prises en compte par les institutions auxquelles elles ont affaire, ni même souvent par leurs proches.
Nos émotions sont politiques, et le déni de nos émotions est lui aussi politique.
Attention, la série est très dure à regarder justement parce que tout sonne extrêmement juste, si proche de notre réalité. Si vous vous sentez fragile en ce moment, ou que ces sujets résonnent particulièrement pour vous, assurez-vous d’être entouré·e ou passez votre tour.
3. 120 battements par minute (Robin Campillo, 2017)
Plongée dans le collectif Act up, au début des années 1990, qui lutte pour que les droits et les besoins des personnes séropositives soient enfin pris en compte par l’Etat. C’est à ce jour le seul film que j’aie vu qui mette en scène des réunions militantes d’une façon à la fois crédible et intéressante.
Une belle histoire d’amour et aussi un magnifique récit d’engagement politique. Préparez vos mouchoirs, les copain·es.
Rencontrer
1. Le Cocon, Camille Tisseyre
Praticienne en hypnose féministe, Camille Tisseyre propose des ateliers collectifs pour “explorer, découvrir et construire de nouveaux mondes”. Le thème de novembre était justement “politiser les émotions”.
Suivez son travail pour vous inscrire aux prochaines sessions.
Il se pourrait aussi qu’on mitonne elle et moi un petit projet en commun, mais chut ! pour l’instant c’est top secret.
2. La pilule rouge, collectif créé par Anne Favier et Selma Sardouk
Un espace de formation & ateliers en ligne pour les pros de l’accompagnement. L’idée, c’est de permettre aux professionnel·les du soin de faire le point sur leur pratique, de comprendre les systèmes d'oppression et de s'engager sur le chemin de la décolonisation du care.
Je guette les prochaines formations comme le lait sur le feu !
3. Cultiver le Deuil, Cécile Tresfels
Cécile Tresfels organise tous les mois des cercles de deuil collectifs.
“L’idée est d’avoir un espace régulier où on peut co-créer des rituels collectifs pour laisser circuler la tristesse qui nous habite face à la violence continue du monde dans lequel on vit. Cet espace s’inscrit en complément des espaces militants où on a souvent peu le temps de ressentir pleinement le deuil, même si le deuil nourrit l’action et vice-versa, et en complément de l’espace “privé” où on pleure seul·e.”
Le prochain a lieu jeudi 5 décembre - c’est la seule bonne raison de ne pas participer à mon atelier d’écriture qui se tiendra à peu près sur le même horaire 🙂
Comme d’hab, si vous avez d’autres idées, complétez en commentaire 💜
(C’est mieux que par email, pour que tout le monde puisse avoir accès à notre sagesse collective).
Cet article clôt notre série sur les émotions. Merci à toustes celleux qui l’ont rendue possible.
Les épisodes précédents :
le besoin de se protéger et de se reposer pour agir efficacement ;
Le confort : l’action militante doit-elle forcément être inconfortable ?
Mardi prochain, on va parler d’un sujet qui me passionne et qui vous intéresse aussi très fort, si j’en crois les résultats d’un sondage que j’avais fait il y a quelques temps… Hâte hâte hâte.
Bonsoir ! J'ai pensé à cette série sur les émotions en regardant Blague block sur Mediapart (en accès libre d'ailleurs). Elsa Faucillon y parle du mépris, non pas comme un sentiment de supériorité morale, mais comme d'une émotion outil, qui permet de prendre de la distance avec des idées/gens d'un autre bord et donc de se protéger. J'ai trouvé ça intéressant comme approche, un peu comme un mépris de classe renversé.
Première fois que je vois dans le lien que tu suggère sur les ateliers de deuil "le concept d’échelle tarifaire" qui pour une fois rend accessible des ateliers aux personnes en situations de précarité
Ceci dit merci au passage pour tes partages et newsletters