Si vous êtes du genre pressé et que vous n’avez que trois minutes devant vous, vous pouvez vous réjouir : cet article va être inhabituellement court.
Mon message est tout simple : aucune création artistique n’existe sans une forme de soutien, et même d’amour.
Aucune création artistique n’est absolument solitaire.
Je ne parle pas d’un processus de création impliquant plusieurs artistes (même si c’est passionnant aussi, et d’ailleurs on va aborder ce sujet dès la semaine prochaine avec une super interview).
Je veux simplement dire qu’on ne crée rien sans être un minimum entouré·e, soutenu·e et valorisé·e par des gens, autour, qui nous donnent l'élan d’y aller. Et surtout, la force d’y retourner.
Moi, la personne qui m’accompagne et m’encourage le plus, c’est la femme de Londres.
On l’appelle comme ça, avec B (maon merveilleux·se époux·se), parce qu’on trouvait que c’était plus drôle que “la femme de l’ombre”.
Mais si, vous savez, la femme de l’ombre, c’est celle qui reste indéfiniment derrière son génie créateur de mari. C’est celle qui épuise sa vie à lui fournir de l’inspiration le matin, de jolis enfants potelés le midi et de bons petits plats le soir, pendant que Monsieur peint/écrit/compose OKLM dans son atelier.
La femme de Londres a de nombreux points communs avec la femme de l’ombre. Et moi, avec le mari obnubilé par son Art.
C’est, par exemple, la femme de Londres qui relit mes textes quand j’ai un doute sur leur lisibilité (90% du temps, le verdict est implacable : “c’est trop long”). C’est elle qui me tend la main quand je commence à dégringoler la spirale du doute. Me fait remarquer quand je suis tellement absorbée par mes projets que je n’ai pas pris de vrai jour de congé depuis des mois. Elle me rassure, me dit qu’elle est fière de moi. La femme de Londres continue de lire ma newsletter avec loyauté alors que franchement, en général, je lui ai déjà tellement parlé du thème et de mes idées qu’elle pourrait s’en passer. Elle s’accommode de mes absences pour participer à des rencontres et accepte que notre intimité soit parfois dévoilée dans mes écrits.
Sans la femme de Londres, je n’écrirais pas grand-chose, et pas grand-chose d’intéressant.
Je vous raconte tout ça pour deux raisons.
La première, c’est que la femme de Londres n’est pas tout à fait une femme de l’ombre (Leo vibes oblige), et que je voudrais lui donner ici un peu de la lumière qu’iel mérite – même si aucun post ne pourra vraiment traduire l’ampleur de tout ce que je ressens quand je pense à ellui, son intelligence aiguisée et son soutien sans faille.
Ma reconnaissance envers toi, B, est infinie. Merci pour tout.
La seconde, c’est que je souhaite que vous vous demandiez, vous qui lisez cet article et qui peut-être avez une pratique artistique, vous qui peut-être voudriez la développer : qui sont vos Londonien·nes à vous ?
Qui sont celleux qui vous encouragent pour de vrai ? Qui vous soutiennent avec sincérité et constance, y compris quand vous devenez un peu chiant·e sur les bords ?
Et dans l’autre sens : pour qui êtes-vous la femme de Londres ?
Ou disons, une femme de Londres ? Ce manuscrit que Bidule vous a passé et que vous avez promis de relire, vous l’avez effectivement parcouru ou bien il prend la poussière dans un coin de votre ordi ? Quand Machine vous parle avec dépit de son audition ratée, vous l’écoutez ou vous embrayez avec un autre sujet ?
(Indice : même avec de bonnes intentions, même en aimant profondément la personne, celleux qui cassent vos jolis rêves en vous disant que vous vous lancez dans un truc trop dur et que vous allez probablement échouer ne sont PAS des Londonien·nes.)
(Indice plus subtil : répéter à l'envi “ouais c’est trop génial ce que tu fais, bravo top” et passer à un autre sujet vite fait mal fait… ça ne compte pas vraiment non plus.)
Je disais dans une précédente newsletter qu’en matière de création artistique, personne ne viendra vous chercher, qu’il faut s'élancer sans attendre que l’impulsion vienne d’ailleurs – et je le crois toujours.
Mais on a aussi besoin de gens qui acceptent de nous épauler.
Je vous souhaite de trouver ces personnes. Choyez-les. Dites-leur merci souvent — pas seulement avec des mots.
Et quand quelqu’un·e pourrait en avoir besoin, je nourris l’espoir de savoir tendre la main à mon tour.
Cet article est le dernier d’une série sur l’écriture et la créativité. Si le thème vous intéresse, voici les quatre épisodes précédents :
Personne ne viendra vous sauver : l’artiste qui rencontre le succès comme ça, sans l’avoir cherché, presque malgré lui, n’existe pas.
“Pour créer, il faut du temps” : entretien avec l’illustratrice Clémence Delorme, qui donne des conseils frappés au coin du bon sens pour celleux qui pensent à se lancer dans une carrière créative.
L’émotion taboue : et si la jalousie n’était pas un obstacle mais un tremplin pour votre créativité ?
Insolentes… ou indécentes ? L’importance de lutter contre l’inquiétante concentration du monde de l’édition, en soutenant les maisons indépendantes.
D’ailleurs, depuis la publication de cet article, la maison indépendante queer et antiraciste Blast a lancé une cagnotte de soutien pour permettre l’impression des prochains titres. Leurs livres sont juste merveilleux. Vraiment.
Vous pouvez participer ici.
Chaque euro compte.
Je lance aussi une série d’interviews avec des auteurices dont j’admire le travail, pour parler de l’écriture (et de ses conditions matérielles de production et de diffusion).
Vous pouvez retrouver le premier entretien avec Pauline Gonthier, autrice des Oiselles sauvages, juste ici ;
et le second, avec Tal Madesta, auteur de La Fin des monstres (ed. La Déferlante, 2023), par là.
P.-S. : faut-il le préciser ? Sans doute que oui, vu l’état du monde.
L’amour et le soutien sont bof conciliables avec l’exploitation. L’Art n’est pas une bonne excuse pour laisser les autres se taper la vaisselle tous les soirs.
En d’autres termes, cet article n’est pas une ode destinée à compenser et romantiser le fait que j’exploite la personne qui partage ma vie et encore moins un encouragement à faire ça chez vous. Je continue évidemment, sauf circonstances très très exceptionnelles et négociation préalable, d’assurer ma part du taf domestique et d’être disponible pour B. Dans le cas contraire, cet article ne serait pas une déclaration d’amour mais le manifeste de la domination.
Ça va sans dire, mais ça va encore mieux en le disant.
P.-P.-S. : le soutien qui m’aide à avancer, c’est aussi bien sûr vous. Oui vous, vous-même, derrière votre écran d’ordi ou de smartphone.
Vous qui prenez le temps de lire cette newsletter, dans un monde où l’attention vaut plus cher que l’or. Vous qui en parlez autour de vous, qui la transférez à un·e ami·e en disant « hé tiens, ça va t’intéresser ! ». Vous qui prenez un abonnement payant ou qui choisissez de participer à un atelier d’écriture même si ça vous fout les chocottes (d’ailleurs, tous les ateliers de juillet sont complets !). Vous qui empruntez mes livres à la bibliothèque ou les prêtez à vos potes.
Merci, merci, merci. Pour de vrai.
C’est tellement beau et vrai. Merci !
Tu es l’une de mes femmes de Londres !